Rappelons qu’une suite $(u_n)$ est dite de Cauchy si ses termes se rapprochent infiniment les uns des autres. Autrement dit, pour tout écart $\varepsilon > 0$, on peut trouver un rang à partir duquel deux termes quelconques de la suite sont distants de moins de $\varepsilon$.
Pour montrer qu’une suite n’est pas de Cauchy, il faut prouver le contraire : les termes ne se rapprochent pas tous les uns des autres.
La définition formelle d’une suite qui n’est pas de Cauchy est la négation logique de la définition d’une suite de Cauchy. Une suite $(u_n)$ n’est pas de Cauchy si :
$\exists \varepsilon > 0, \forall N \in \mathbb{N}, \exists p, q \ge N, |u_p – u_q| \ge \varepsilon$
En français, cela signifie :
« Il existe un écart minimal $\varepsilon > 0$ tel que, peu importe à quel point on avance dans la suite (pour tout rang $N$), on peut toujours trouver deux termes plus loin ($p, q \ge N$) dont la distance est supérieure ou égale à cet écart $\varepsilon$. »
La Méthode en 3 Étapes
- Étape 1 : Choisir un $\varepsilon > 0$ judicieux. C’est l’étape clé. On doit « deviner » un seuil en dessous duquel la différence entre certains termes ne descendra jamais. On choisit souvent une valeur simple comme $1$, $1/2$ ou $2$.
- Étape 2 : Fixer les indices $p$ et $q$. Soit $N$ un entier quelconque. On doit trouver deux indices $p$ et $q$, supérieurs à $N$, qui vont nous permettre de mettre en évidence l’écart $\varepsilon$. Un choix très fréquent et puissant est de prendre $q=N$ et $p=2N$.
- Étape 3 : Démontrer l’inégalité. On calcule $|u_p – u_q|$ avec les indices choisis et on montre que cette quantité est bien supérieure ou égale à notre $\varepsilon$ de départ, et ce pour tout $N$.
Exemple 1 : La Suite Harmonique
Soit la suite $(H_n)$ définie par $H_n = \sum_{k=1}^{n} \frac{1}{k}$. C’est l’exemple canonique de suite qui diverge sans être de Cauchy.
Étape 1 (Choix de $\varepsilon$) :
Nous allons montrer qu’on peut toujours trouver deux termes dont l’écart est d’au moins $1/2$. Posons $\boldsymbol{\varepsilon = 1/2}$.
Étape 2 (Choix des indices) :
Soit $N \in \mathbb{N}^*$ un rang quelconque. Choisissons $\boldsymbol{q=N}$ et $\boldsymbol{p=2N}$. On a bien $p, q \ge N$.
Étape 3 (Démonstration) :
Calculons la différence $|H_{2N} – H_N|$ : $$ H_{2N} – H_N = \left(\sum_{k=1}^{2N} \frac{1}{k}\right) – \left(\sum_{k=1}^{N} \frac{1}{k}\right) = \sum_{k=N+1}^{2N} \frac{1}{k} $$ $$ H_{2N} – H_N = \frac{1}{N+1} + \frac{1}{N+2} + \dots + \frac{1}{2N} $$ Cette somme contient $2N – (N+1) + 1 = N$ termes. Chacun de ces termes est supérieur ou égal au plus petit d’entre eux, qui est $\frac{1}{2N}$. On peut donc minorer la somme : $$ H_{2N} – H_N \ge N \times \left(\frac{1}{2N}\right) = \frac{N}{2N} = \frac{1}{2} $$ Nous avons bien montré que $|H_{2N} – H_N| \ge 1/2$.
Conclusion : On a trouvé $\varepsilon=1/2$ tel que pour tout $N$, il existe $p=2N$ et $q=N$ avec $p,q \ge N$ pour lesquels $|H_p – H_q| \ge \varepsilon$. La suite harmonique n’est donc pas une suite de Cauchy.
Cette méthode est aussi très efficace pour les suites qui n’ont pas de limite car elles oscillent.
Exemple : Soit $u_n = (-1)^n$.
On sent que les termes sautent de -1 à 1 sans jamais se stabiliser. L’écart semble être de 2.
- Étape 1 : On choisit $\boldsymbol{\varepsilon = 1}$ (ou 2, ça marche aussi).
- Étape 2 : Soit $N \in \mathbb{N}$. On choisit $\boldsymbol{q=N}$ et $\boldsymbol{p=N+1}$.
- Étape 3 : On calcule $|u_{N+1} – u_N| = |(-1)^{N+1} – (-1)^N| = |(-1)^N(-1-1)| = |-2(-1)^N| = 2$. Et on a bien $2 \ge 1$.
La suite $(u_n)$ n’est donc pas de Cauchy.