Par analogie avec la série entière qui définit l’exponentielle pour les nombres réels et complexes ($e^z = \sum_{k=0}^\infty \frac{z^k}{k!}$), nous allons définir l’exponentielle d’une matrice carrée.
Pour toute matrice $A \in \mathcal{M}_n(\mathbb{C})$, la série matricielle $\sum_{k=0}^{\infty} \frac{A^k}{k!}$ est convergente.
Démonstration
L’espace $\mathcal{M}_n(\mathbb{C})$ est une algèbre de Banach, ce qui signifie qu’il est complet. Par conséquent, toute série absolument convergente est convergente. Considérons la série des normes : $$ \sum_{k=0}^{\infty} \left\| \frac{A^k}{k!} \right\| = \sum_{k=0}^{\infty} \frac{\|A^k\|}{k!} \le \sum_{k=0}^{\infty} \frac{\|A\|^k}{k!} $$ Cette dernière série est la série exponentielle de la valeur réelle $\|A\|$, qui converge vers $e^{\|A\|}$. La série des normes est donc convergente, ce qui prouve la convergence absolue de la série matricielle.
Pour toute matrice $A \in \mathcal{M}_n(\mathbb{C})$, on définit l’exponentielle de A, notée $\exp(A)$ ou $e^A$, comme la somme de la série convergente : $$ \exp(A) = \sum_{k=0}^{\infty} \frac{A^k}{k!} $$
Exemples de Calcul
- Matrice nilpotente : Si $N$ est une matrice nilpotente d’indice $q$ (c’est-à-dire $N^q=0$), la série est une somme finie : $\exp(N) = \sum_{k=0}^{q-1} \frac{N^k}{k!}$.
- Matrice diagonale : Si $D = \text{diag}(\lambda_1, \dots, \lambda_n)$, alors $D^k = \text{diag}(\lambda_1^k, \dots, \lambda_n^k)$. L’exponentielle est donc $\exp(D) = \text{diag}(e^{\lambda_1}, \dots, e^{\lambda_n})$.
- Matrice diagonalisable : Si $A = PDP^{-1}$ avec $D$ diagonale, alors $A^k = PD^kP^{-1}$. Par linéarité, $\exp(A) = P(\exp(D))P^{-1}$.
Soient $A$ et $B$ deux matrices de $\mathcal{M}_n(\mathbb{C})$ qui commutent ($AB=BA$). Alors : $$ \exp(A+B) = \exp(A)\exp(B) $$
Démonstration
La démonstration est analogue à celle pour les nombres complexes, en utilisant le produit de Cauchy de deux séries absolument convergentes. Comme $A$ et $B$ commutent, la formule du binôme de Newton s’applique : $(A+B)^k = \sum_{p=0}^k \binom{k}{p} A^p B^{k-p}$. Le terme général de la série $\exp(A+B)$ est $\frac{(A+B)^k}{k!} = \sum_{p=0}^k \frac{A^p}{p!} \frac{B^{k-p}}{(k-p)!}$. On reconnaît le terme général du produit de Cauchy des séries $\exp(A)$ et $\exp(B)$.
Remarque
Grâce à la décomposition de Dunford, toute matrice $A$ (dont le polynôme caractéristique est scindé) s’écrit $A=D+N$ avec $D$ diagonalisable, $N$ nilpotente, et $DN=ND$. On peut alors calculer son exponentielle par : $\exp(A) = \exp(D+N) = \exp(D)\exp(N)$.
Pour toute matrice $A \in \mathcal{M}_n(\mathbb{C})$, son exponentielle $\exp(A)$ est un polynôme en $A$.
Démonstration
L’ensemble $K[A] = \{P(A) \mid P \in K[X]\}$ est un sous-espace vectoriel de $\mathcal{M}_n(\mathbb{C})$ de dimension finie (égale au degré du polynôme minimal de $A$). En tant que sous-espace de dimension finie d’un espace normé, il est fermé. La suite des sommes partielles $S_p = \sum_{k=0}^p \frac{A^k}{k!}$ est une suite d’éléments de $K[A]$. Comme la série converge, sa limite, $\exp(A)$, doit également appartenir à cet espace fermé. Il existe donc un polynôme $P$ tel que $\exp(A) = P(A)$.