Théorème de Complétude de Gödel
Contexte : Logique du Premier Ordre

Avant d’énoncer le théorème, il est essentiel de définir deux concepts centraux en logique du premier ordre. Soit $T$ un ensemble d’axiomes (une théorie) et $\varphi$ une formule (un énoncé).

  • Conséquence Syntactique (Démontrabilité) : On dit que $\varphi$ est une conséquence syntaxique de $T$, noté $T \vdash \varphi$, s’il existe une démonstration formelle de $\varphi$ à partir des axiomes de $T$ et des règles de déduction logiques (comme le modus ponens). C’est une notion purement mécanique qui ne s’occupe que de la manipulation de symboles.
  • Conséquence Sémantique (Validité) : On dit que $\varphi$ est une conséquence sémantique de $T$, noté $T \models \varphi$, si $\varphi$ est vraie dans tous les modèles où les axiomes de $T$ sont vrais. Un modèle est une structure mathématique (un univers, des fonctions, des relations) qui donne un sens, une interprétation, aux symboles. C’est une notion de vérité.
Théorème de Complétude de Gödel (1929)

Pour toute théorie $T$ du premier ordre et toute formule $\varphi$, les notions de conséquence syntaxique et de conséquence sémantique coïncident. $$ T \vdash \varphi \iff T \models \varphi $$

Autrement dit, une formule est démontrable à partir d’un ensemble d’axiomes si et seulement si elle est vraie dans tous les mondes où ces axiomes sont vrais.

Corollaire Fondamental

Une théorie $T$ est consistante (on ne peut pas y démontrer de contradiction, i.e., $T \not\vdash \bot$) si et seulement si elle admet un modèle (il existe une structure où ses axiomes sont vrais).

Démonstration (Esquisse de la preuve de Henkin)

La démonstration se fait en deux parties.

Partie 1 : Correction (Soundness) : $T \vdash \varphi \implies T \models \varphi$

Cette implication est la plus simple. Elle consiste à vérifier que les axiomes logiques sont valides (vrais dans tout modèle) et que les règles d’inférence (comme le modus ponens) préservent la vérité. Ainsi, si on part d’axiomes de $T$ qui sont vrais dans un modèle $M$, chaque étape de la démonstration formelle de $\varphi$ produira une nouvelle formule qui est également vraie dans $M$. Par conséquent, la conclusion $\varphi$ doit être vraie dans $M$. Comme cela vaut pour n’importe quel modèle $M$ de $T$, on a bien $T \models \varphi$.

Partie 2 : Complétude (Completeness) : $T \models \varphi \implies T \vdash \varphi$

C’est la partie la plus difficile. On démontre sa contraposée : si $\varphi$ n’est pas démontrable à partir de $T$ ($T \not\vdash \varphi$), alors $\varphi$ n’est pas une conséquence sémantique de $T$ ($T \not\models \varphi$).

L’hypothèse $T \not\vdash \varphi$ est équivalente à dire que la théorie $T’ = T \cup \{\neg\varphi\}$ est consistante. Pour montrer que $T \not\models \varphi$, il nous suffit de trouver un modèle de $T’$, car un tel modèle rendrait $T$ vraie et $\varphi$ fausse. La preuve consiste donc à montrer que toute théorie consistante admet un modèle.

  1. Extension de Henkin : On commence par enrichir le langage de la théorie $T’$ en y ajoutant une infinité de nouvelles constantes, appelées « constantes de Henkin ». On étend ensuite la théorie $T’$ en ajoutant, pour chaque formule $\psi(x)$ du langage enrichi, un axiome de la forme $(\exists x \, \psi(x)) \implies \psi(c)$, où $c$ est une nouvelle constante de Henkin. Ces axiomes garantissent que si la théorie peut prouver l’existence d’un objet, elle nomme également un « témoin » pour cet objet. On montre que cette nouvelle théorie, notée $T^*$, est toujours consistante.
  2. Complétion de Lindenbaum : On étend la théorie consistante $T^*$ en une théorie $T^{**}$ qui est maximale et consistante. Cela signifie que pour toute formule $\alpha$ du langage enrichi, soit $T^{**} \vdash \alpha$, soit $T^{**} \vdash \neg\alpha$. On construit cette extension en énumérant toutes les formules et en ajoutant à chaque étape soit la formule, soit sa négation, de manière à préserver la consistance.
  3. Construction du modèle canonique : À partir de la théorie complète $T^{**}$, on construit un modèle $M$ « sur mesure ».
    • L’univers de $M$ est l’ensemble des termes clos (sans variable) du langage enrichi.
    • L’interprétation des symboles est définie syntaxiquement : une relation $R(t_1, \dots, t_n)$ est déclarée « vraie » dans $M$ si et seulement si la formule $R(t_1, \dots, t_n)$ est un théorème de $T^{**}$ (i.e., $T^{**} \vdash R(t_1, \dots, t_n)$).
  4. Lemme de vérité : On montre alors par induction sur la structure des formules que pour n’importe quelle formule $\alpha$, $\alpha$ est vraie dans le modèle $M$ si et seulement si $\alpha$ est un théorème de $T^{**}$. L’étape cruciale de l’induction, celle concernant le quantificateur existentiel $\exists$, est assurée par les axiomes de Henkin que nous avons ajoutés.

Conclusion : Puisque $T^{**}$ contient tous les axiomes de $T’$, et que pour toute formule $\alpha$ de $T^{**}$, on a $T^{**} \vdash \alpha$, le lemme de vérité nous assure que toutes les formules de $T’$ sont vraies dans le modèle $M$. Ainsi, $M$ est un modèle de $T’ = T \cup \{\neg\varphi\}$. L’existence de ce modèle prouve que $\varphi$ n’est pas une conséquence sémantique de $T$.