À la fin du XIXe siècle, Georg Cantor a révolutionné notre compréhension de l’infini en montrant qu’il n’y avait pas une seule, mais plusieurs « tailles » d’ensembles infinis.
- L’infini dénombrable est la « taille » de l’ensemble des entiers naturels $\mathbb{N}$. Sa cardinalité est notée $\aleph_0$ (aleph-zéro).
- L’infini du continu est la « taille » de l’ensemble des nombres réels $\mathbb{R}$. Sa cardinalité est notée $2^{\aleph_0}$.
Le théorème de Cantor a prouvé que l’ensemble des parties de $\mathbb{N}$, noté $\mathcal{P}(\mathbb{N})$, a une cardinalité strictement plus grande que celle de $\mathbb{N}$. De plus, on peut montrer qu’il y a une bijection entre $\mathcal{P}(\mathbb{N})$ et $\mathbb{R}$, ce qui signifie qu’ils ont la même taille. On a donc la certitude que : $$ |\mathbb{N}| < |\mathbb{R}| \quad \text{ou} \quad \aleph_0 < 2^{\aleph_0} $$
La question naturelle qui a émergé des travaux de Cantor est la suivante : existe-t-il une taille d’infini intermédiaire entre celle des entiers et celle des réels ?
L’Hypothèse du Continu est l’affirmation qu’une telle taille intermédiaire n’existe pas. Formellement :
Il n’existe aucun ensemble $S$ dont la cardinalité $|S|$ soit strictement comprise entre la cardinalité des entiers naturels et celle des nombres réels. $$ \text{Il n’existe pas de } S \text{ tel que } \aleph_0 < |S| < 2^{\aleph_0} $$
Si l’hypothèse est vraie, alors $2^{\aleph_0}$ est le « plus petit » infini après $\aleph_0$, et on le note $\aleph_1$. L’hypothèse du continu est donc l’affirmation que $\aleph_1 = 2^{\aleph_0}$.
L’Indécidabilité
Pendant des décennies, les mathématiciens ont tenté en vain de prouver ou de réfuter l’hypothèse du continu. La réponse, finalement apportée en deux temps, fut stupéfiante : l’hypothèse du continu est indécidable dans le système axiomatique standard des mathématiques, la théorie des ensembles de Zermelo-Fraenkel avec l’axiome du choix (ZFC).
Cela ne signifie pas que nous ne connaissons pas encore la réponse. Cela signifie qu’il est logiquement impossible de prouver ou de réfuter l’hypothèse du continu en utilisant uniquement les axiomes de ZFC.
L’indécidabilité a été établie par deux résultats complémentaires :
- Kurt Gödel (1940) : Gödel a démontré que l’hypothèse du continu est cohérente avec les axiomes de ZFC. Cela signifie qu’on ne peut pas réfuter l’hypothèse du continu à partir de ZFC. Pour ce faire, il a construit un modèle de la théorie des ensembles, l’univers constructible $L$, dans lequel tous les axiomes de ZFC sont vrais, et où l’hypothèse du continu est également vraie.
- Paul Cohen (1963) : Cohen a démontré que la négation de l’hypothèse du continu est également cohérente avec ZFC. Cela signifie qu’on ne peut pas prouver l’hypothèse du continu à partir de ZFC. Pour cela, il a développé une technique puissante, le forcing, pour construire un modèle de ZFC dans lequel l’hypothèse du continu est fausse (c’est-à-dire où il existe bien des infinis intermédiaires).
Conclusion et Implications
Ensemble, les travaux de Gödel et Cohen montrent que l’Hypothèse du Continu est indépendante des axiomes de ZFC. La situation est analogue à celle du postulat des parallèles en géométrie. On peut l’accepter (géométrie euclidienne) ou le rejeter (géométries non euclidiennes) et construire dans les deux cas un système mathématique parfaitement cohérent.
De la même manière, on peut choisir d’ajouter l’Hypothèse du Continu (HC) comme un nouvel axiome à ZFC, ou d’ajouter sa négation ($\neg$HC). Dans les deux cas, on obtient une théorie des ensembles qui, si ZFC est elle-même cohérente, sera également cohérente.
Ce résultat a profondément marqué les mathématiques, en montrant que le système d’axiomes ZFC, bien que très puissant, ne suffit pas à décrire entièrement la « réalité » de l’univers des ensembles et en particulier la nature du continu des nombres réels.