Théorème de Hartogs
Contexte : Holomorphie à Plusieurs Variables

En analyse complexe, une fonction d’une variable $f(z)$ est dite holomorphe si elle est dérivable au sens complexe. Pour une fonction de plusieurs variables complexes, $f(z_1, \dots, z_n)$, on peut distinguer deux notions de dérivabilité :

  • Holomorphie (conjointe) : La fonction est « dérivable au sens complexe » par rapport à l’ensemble de ses variables. Cela implique qu’elle est localement développable en série entière de plusieurs variables. C’est une condition très forte.
  • Holomorphie séparée : La fonction est holomorphe par rapport à chaque variable séparément, en considérant les autres comme des constantes. C’est-à-dire que pour chaque $j$, l’application partielle $z_j \mapsto f(z_1, \dots, z_j, \dots, z_n)$ est holomorphe. C’est une condition a priori beaucoup plus faible.

La question naturelle est : une fonction holomorphe séparément est-elle nécessairement holomorphe (conjointement) ? En analyse réelle, la réponse est non : une fonction peut avoir des dérivées partielles continues sans être différentiable. Le théorème de Hartogs montre que la situation en analyse complexe est radicalement différente.

Théorème de Hartogs sur la Continuité Séparée (1906)

Soit $U$ un ouvert de $\mathbb{C}^n$ (avec $n \ge 2$) et $f: U \to \mathbb{C}$ une fonction. Si $f$ est holomorphe par rapport à chaque variable séparément, alors $f$ est une fonction continue sur $U$.

Théorème de Hartogs (Version Forte / Théorème d’Osgood)

Soit $U$ un ouvert de $\mathbb{C}^n$ (avec $n \ge 2$) et $f: U \to \mathbb{C}$ une fonction. Si $f$ est holomorphe par rapport à chaque variable séparément, alors $f$ est holomorphe (conjointement) sur $U$.

Esquisse de la Démonstration (pour n=2)

La preuve est non triviale et constitue l’un des premiers résultats profonds de la théorie des fonctions de plusieurs variables complexes. L’idée est de montrer que si une fonction est holomorphe séparément, alors elle satisfait la formule intégrale de Cauchy à plusieurs variables, ce qui implique qu’elle est développable en série entière et donc holomorphe.

  1. Fixer un point : Soit $(z_1^0, z_2^0)$ un point dans l’ouvert $U$. On choisit deux petits disques $D_1$ et $D_2$ centrés en $z_1^0$ et $z_2^0$ tels que le produit $D_1 \times D_2$ soit inclus dans $U$.
  2. Première intégration de Cauchy : Pour un $z_2$ fixé dans $D_2$, la fonction $w_1 \mapsto f(w_1, z_2)$ est holomorphe sur $D_1$. On peut donc appliquer la formule intégrale de Cauchy classique : $$ f(z_1, z_2) = \frac{1}{2\pi i} \int_{\partial D_1} \frac{f(w_1, z_2)}{w_1 – z_1} dw_1 $$
  3. Seconde intégration de Cauchy : Maintenant, pour chaque $w_1$ sur le bord de $D_1$, la fonction $w_2 \mapsto \frac{f(w_1, w_2)}{w_1 – z_1}$ est holomorphe sur $D_2$. On peut donc lui appliquer la formule de Cauchy par rapport à la deuxième variable : $$ \frac{f(w_1, z_2)}{w_1 – z_1} = \frac{1}{2\pi i} \int_{\partial D_2} \frac{f(w_1, w_2)}{(w_1 – z_1)(w_2 – z_2)} dw_2 $$
  4. Combinaison des formules : En substituant la deuxième formule dans la première, on obtient la formule intégrale de Cauchy à deux variables : $$ f(z_1, z_2) = \left(\frac{1}{2\pi i}\right)^2 \int_{\partial D_1} \int_{\partial D_2} \frac{f(w_1, w_2)}{(w_1 – z_1)(w_2 – z_2)} dw_2 dw_1 $$ L’étape cruciale (qui requiert la continuité de $f$, prouvée dans la version faible du théorème) est de pouvoir intervertir l’intégrale et les évaluations.
  5. Développement en série : À partir de cette formule intégrale, on peut développer les termes $\frac{1}{w_1-z_1}$ et $\frac{1}{w_2-z_2}$ en séries géométriques. L’intégration terme à terme permet alors de montrer que $f(z_1, z_2)$ est égale à la somme d’une série entière double au voisinage de $(z_1^0, z_2^0)$. Une fonction qui est localement la somme d’une série entière est, par définition, holomorphe.

Implications et Conséquences

  • Rigidité de l’holomorphie : Ce théorème montre que la structure des fonctions holomorphes est beaucoup plus « rigide » que celle des fonctions différentiables réelles. La condition d’holomorphie sur chaque « tranche » de l’espace est suffisante pour forcer une structure globale très forte (développement en série entière).
  • Fondement de la théorie : Le théorème de Hartogs-Osgood est un point de départ pour la théorie des fonctions de plusieurs variables complexes. Il justifie que l’on puisse se concentrer sur les fonctions holomorphes (conjointement), car la condition plus faible d’holomorphie séparée est en fait équivalente.