Postulat de Bertrand
Contexte : La Raréfaction des Nombres Premiers

Le théorème d’Euclide nous assure qu’il existe une infinité de nombres premiers. Cependant, le théorème des nombres premiers nous apprend qu’ils se raréfient à mesure que l’on considère des nombres de plus en plus grands. Une question naturelle se pose alors : peut-on garantir que les « écarts » entre deux nombres premiers consécutifs ne deviennent pas arbitrairement grands par rapport à leur taille ?

Le postulat de Bertrand apporte une première réponse forte à cette question en garantissant qu’on peut toujours trouver un nombre premier dans un intervalle relativement petit.

Postulat de Bertrand (Théorème de Tchebychev)

Pour tout entier $n > 1$, il existe toujours au moins un nombre premier $p$ tel que : $$ n < p < 2n $$

Ce résultat a été conjecturé en 1845 par Joseph Bertrand (qui l’a vérifié pour tous les nombres jusqu’à 3 millions) et a été démontré pour la première fois par Pafnouti Tchebychev en 1852. C’est pourquoi il est plus rigoureusement appelé le théorème de Tchebychev.

Esquisse de la Démonstration (d’après Paul Erdős)

La démonstration originale de Tchebychev est complexe. Une preuve ultérieure, beaucoup plus élégante et considérée comme « élémentaire » (bien que très astucieuse), a été fournie par Paul Erdős en 1932. L’idée générale est la suivante :

  1. Raisonnement par l’absurde : On suppose qu’il existe un entier $n$ pour lequel il n’y a aucun nombre premier entre $n$ et $2n$.
  2. Étude du coefficient binomial central : Le cœur de la preuve est l’étude des facteurs premiers du coefficient binomial $\binom{2n}{n} = \frac{(2n)!}{(n!)^2}$.
  3. Majoration : On établit d’abord une borne supérieure simple pour ce coefficient, par exemple $\binom{2n}{n} < 4^n$.
  4. Minoration : C’est l’étape la plus technique. On analyse la décomposition en facteurs premiers de $\binom{2n}{n}$.
    • Les nombres premiers $p$ qui divisent ce coefficient doivent être inférieurs à $2n$.
    • Sous l’hypothèse de l’absurde, aucun de ces facteurs premiers ne peut être dans l’intervalle $]n, 2n[$.
    • Erdős a montré que la contribution des « petits » nombres premiers (ceux $\le \sqrt{2n}$) et des nombres premiers « moyens » (ceux $\le 2n/3$) à la factorisation de $\binom{2n}{n}$ est limitée.
    En combinant ces contraintes, on arrive à une borne inférieure pour $\binom{2n}{n}$, qui dépend de $n$.
  5. Contradiction : On montre que pour $n$ suffisamment grand (par exemple $n \ge 4000$), la borne inférieure obtenue sous l’hypothèse de l’absurde devient plus grande que la borne supérieure connue. C’est une contradiction.
  6. Vérification des petits cas : Il ne reste plus qu’à vérifier à la main que le postulat est vrai pour les entiers $n < 4000$. Pour cela, il suffit de trouver une suite de nombres premiers $(p_1, p_2, \dots, p_k)$ telle que chaque premier est plus petit que le double du précédent ($p_{i+1} < 2p_i$). La suite 2, 3, 5, 7, 13, 23, 43, 83, 163, 317, 631, 1259, 2503, 4001... remplit cette condition et couvre tous les cas jusqu'à 4000.

Implications et Exemples

  • Ce théorème garantit que l’écart entre un nombre premier $p_k$ et le suivant $p_{k+1}$ est toujours plus petit que $p_k$. En effet, si on prend $n=p_k$, le théorème assure l’existence d’un nouveau premier avant $2p_k$.
  • Exemple pour n=10 : Le théorème garantit qu’il y a un nombre premier entre 10 et 20. C’est le cas, on trouve 11, 13, 17 et 19.
  • Exemple pour n=100 : Le théorème garantit qu’il y a un nombre premier entre 100 et 200. Le premier est 101.
  • Le postulat de Bertrand est un résultat beaucoup plus fort que le théorème d’Euclide, mais plus faible que le théorème des nombres premiers, qui donne une estimation asymptotique bien plus précise de la densité des nombres premiers.