En théorie des nombres transcendants, on étudie les propriétés arithmétiques de nombres comme $e$ ou $\pi$. Un problème central est de comprendre la nature des formes linéaires en logarithmes.
Soient $\alpha_1, \dots, \alpha_n$ des nombres algébriques non nuls. Une forme linéaire en leurs logarithmes est une expression de la forme : $$ \Lambda = \beta_0 + \beta_1 \ln(\alpha_1) + \dots + \beta_n \ln(\alpha_n) $$ où les $\beta_i$ sont également des nombres algébriques.
Le septième problème de Hilbert demandait de prouver que de telles expressions (avec $\beta_0=0$ et $\beta_1=1$) sont soit nulles, soit transcendantes. Le théorème de Baker va beaucoup plus loin : il montre non seulement que $\Lambda$ n’est généralement pas nul, mais il donne aussi une borne inférieure explicite pour sa valeur absolue.
Soient $\alpha_1, \dots, \alpha_n$ des nombres algébriques non nuls tels que leurs logarithmes $\ln(\alpha_1), \dots, \ln(\alpha_n)$ sont linéairement indépendants sur le corps des nombres rationnels $\mathbb{Q}$.
Alors, la somme $1, \ln(\alpha_1), \dots, \ln(\alpha_n)$ est linéairement indépendante sur le corps de tous les nombres algébriques. Autrement dit, pour tous nombres algébriques $\beta_0, \dots, \beta_n$ non tous nuls, la forme linéaire $\Lambda$ n’est pas nulle : $$ \Lambda = \beta_0 + \beta_1 \ln(\alpha_1) + \dots + \beta_n \ln(\alpha_n) \neq 0 $$
Plus important encore, le théorème fournit une borne inférieure effective (calculable) pour $|\Lambda|$, typiquement de la forme $|\Lambda| > H^{-C}$, où $H$ est une mesure de la « hauteur » (complexité) des coefficients $\beta_i$ et $C$ est une constante calculable.
Esquisse de la Démonstration
La démonstration du théorème de Baker est l’une des plus techniques de la théorie des nombres transcendants. Elle repose sur une méthode de « construction de fonction auxiliaire » initiée par Charles Hermite et perfectionnée par Gelfond et Baker lui-même.
- Hypothèse par l’absurde : On suppose que la forme linéaire $\Lambda$ est « très petite » (plus petite que la borne que l’on veut établir).
- Construction d’une fonction auxiliaire : On construit une fonction de plusieurs variables complexes de la forme $\Phi(z_1, \dots, z_n) = \sum P_k(\dots) \alpha_1^{z_1} \dots \alpha_n^{z_n}$, où les $P_k$ sont des polynômes. Les coefficients de ces polynômes sont choisis (en utilisant le lemme de Siegel) de sorte que la fonction $\Phi$ et un grand nombre de ses dérivées s’annulent en de nombreux points entiers.
- Extrapolation : En utilisant des techniques d’analyse complexe (comme le principe du maximum), on montre que si la fonction s’annule en « suffisamment » de points, elle doit aussi s’annuler en d’autres points où l’on ne l’avait pas forcée à s’annuler. C’est l’étape d’extrapolation.
- Contradiction : On montre alors que les dérivées de la fonction en un de ces nouveaux points ne peuvent pas être nulles. On arrive à une contradiction, ce qui prouve que l’hypothèse de départ (la forme linéaire est « trop petite ») est fausse. La borne inférieure est ainsi établie.
Implications et Utilisation
Le caractère effectif du théorème de Baker est ce qui le rend si puissant. Contrairement au théorème de Thue-Siegel-Roth, il permet d’obtenir des bornes explicites pour les solutions des équations diophantiennes.
- Résolution d’équations diophantiennes : Le théorème a permis de trouver toutes les solutions entières d’une large classe d’équations, comme les équations de Thue, les équations superelliptiques, et de résoudre le problème des nombres de Gauss.
- Conjecture de Catalan : Le théorème de Baker a été un outil clé dans la résolution de la conjecture de Catalan (maintenant théorème de Mihăilescu), qui affirme que $8=2^3$ et $9=3^2$ sont les deux seules puissances pures consécutives.
- Problème du nombre de classes de Gauss : Il a permis de montrer que la liste des corps quadratiques imaginaires dont le nombre de classes est 1, 2, … est finie et de déterminer explicitement ces listes.
- Pour ces travaux, Alan Baker a reçu la Médaille Fields en 1970.