Théorème de Cayley
Contexte : Groupes de Permutations

Soit $E$ un ensemble. Une permutation de $E$ est une bijection de $E$ sur lui-même.

L’ensemble de toutes les permutations d’un ensemble $E$, muni de la loi de composition des applications ($\circ$), forme un groupe appelé le groupe symétrique de $E$, noté $S(E)$ ou $\mathfrak{S}_E$.

Le théorème de Cayley établit un lien universel entre n’importe quel groupe abstrait et un groupe de permutations concret.

Théorème de Cayley

Tout groupe $G$ est isomorphe à un sous-groupe du groupe symétrique de ses propres éléments, $S(G)$.

En particulier, si $G$ est un groupe fini d’ordre $n$, alors $G$ est isomorphe à un sous-groupe de $S_n$, le groupe des permutations de $n$ éléments.

Démonstration Détaillée

La démonstration consiste à construire un homomorphisme injectif (un monomorphisme) du groupe $G$ dans le groupe symétrique $S(G)$. L’image de cet homomorphisme sera alors un sous-groupe de $S(G)$ qui est isomorphe à $G$.

Étape 1 : Définition de l’Action de Groupe (Translation à Gauche)

Pour chaque élément $g \in G$, on définit une application $\tau_g : G \to G$ par la multiplication à gauche : $$ \tau_g(x) = gx $$ Cette application est appelée la translation à gauche par $g$.

Étape 2 : Montrer que chaque $\tau_g$ est une Permutation

Pour que $\tau_g$ soit un élément du groupe symétrique $S(G)$, nous devons montrer que c’est une bijection.

  • Injectivité : Si $\tau_g(x_1) = \tau_g(x_2)$, alors $gx_1 = gx_2$. En multipliant à gauche par l’inverse $g^{-1}$, on obtient $x_1 = x_2$. L’application est donc injective.
  • Surjectivité : Pour un élément quelconque $y \in G$, cherchons un antécédent $x$ tel que $\tau_g(x) = y$. L’équation $gx=y$ a pour solution $x = g^{-1}y$. Cet antécédent existe et est unique dans $G$. L’application est donc surjective.

Puisque $\tau_g$ est une bijection de $G$ sur lui-même pour tout $g \in G$, chaque $\tau_g$ est bien une permutation de l’ensemble $G$.

Étape 3 : Construction de l’Homomorphisme

Considérons maintenant l’application $\Phi: G \to S(G)$ qui à chaque élément $g \in G$ associe la permutation $\tau_g$ que nous venons de définir : $$ \Phi(g) = \tau_g $$ Montrons que $\Phi$ est un homomorphisme de groupes. Nous devons vérifier que $\Phi(g_1 g_2) = \Phi(g_1) \circ \Phi(g_2)$.

Pour un $x \in G$ quelconque, calculons l’image de $x$ par chaque membre de l’égalité :

  • $(\Phi(g_1 g_2))(x) = \tau_{g_1 g_2}(x) = (g_1 g_2)x$
  • $(\Phi(g_1) \circ \Phi(g_2))(x) = \tau_{g_1}(\tau_{g_2}(x)) = \tau_{g_1}(g_2 x) = g_1(g_2 x)$

Par associativité de la loi de groupe dans $G$, on a $(g_1 g_2)x = g_1(g_2 x)$. Les deux applications sont donc égales, et $\Phi$ est bien un homomorphisme.

Étape 4 : Montrer que l’Homomorphisme est Injectif

Pour prouver que $G$ est isomorphe à son image, il nous reste à montrer que $\Phi$ est injective. Pour cela, on montre que son noyau est réduit à l’élément neutre.

Soit $g \in Ker(\Phi)$. Par définition, $\Phi(g)$ est l’élément neutre du groupe d’arrivée $S(G)$, qui est l’application identité $Id_G$. On a donc : $$ \tau_g = Id_G $$ Cela signifie que pour tout $x \in G$, $\tau_g(x) = x$. En particulier, pour l’élément neutre $e$ de $G$, on a $\tau_g(e) = e$. $$ g \cdot e = e $$ $$ g = e $$ Le noyau de $\Phi$ ne contient que l’élément neutre, donc l’homomorphisme est injectif.

Étape 5 : Conclusion

Puisque $\Phi: G \to S(G)$ est un homomorphisme injectif, le premier théorème d’isomorphisme nous dit que $G/Ker(\Phi) \cong Im(\Phi)$. Comme $Ker(\Phi)=\{e\}$, on a $G \cong Im(\Phi)$.

L’image $Im(\Phi)$ est un sous-groupe de $S(G)$. Nous avons donc bien montré que $G$ est isomorphe à un sous-groupe du groupe symétrique de ses propres éléments.

Implications

Le théorème de Cayley a une immense portée théorique. Il montre que l’étude des groupes de permutations est suffisante, en un sens, pour comprendre tous les groupes finis. Tout groupe, aussi abstrait soit-il, peut être « réalisé » concrètement comme un ensemble de mélanges d’objets. Cependant, cette représentation n’est pas toujours la plus efficace. Par exemple, un groupe cyclique d’ordre 17 serait représenté comme un sous-groupe de $S_{17}$, qui a $17!$ éléments, ce qui est une description très complexe pour une structure très simple.