Théorème de Nielsen-Schreier
Contexte : Groupes Libres et Sous-groupes

Un groupe libre sur un ensemble de générateurs $S$ est, de manière informelle, le groupe le plus général que l’on puisse construire avec ces générateurs. Ses éléments sont des « mots » formés par les générateurs et leurs inverses (ex: $a \cdot b \cdot a^{-1} \cdot c$), et la seule règle est la simplification d’un élément avec son inverse (ex: $a \cdot a^{-1}$ se simplifie en l’élément neutre). Il n’y a aucune autre relation entre les générateurs.

Il est un résultat classique que tout sous-groupe d’un groupe abélien libre est lui-même un groupe abélien libre. La question s’est naturellement posée pour le cas non-abélien : un sous-groupe d’un groupe libre est-il toujours libre ? Le théorème de Nielsen-Schreier répond par l’affirmative.

Théorème de Nielsen-Schreier

Tout sous-groupe d’un groupe libre est lui-même un groupe libre.

Esquisse de la Démonstration

Il existe plusieurs preuves de ce théorème, relevant de différentes branches des mathématiques.

Version Topologique (via les espaces revêtements)

C’est la preuve la plus élégante et conceptuelle.

  1. Groupe libre et bouquet de cercles : On montre d’abord qu’un groupe libre $F_n$ sur $n$ générateurs est le groupe fondamental d’un espace topologique simple : un bouquet de $n$ cercles (n cercles attachés en un seul point).
  2. Sous-groupes et espaces revêtements : La théorie des espaces revêtements établit une correspondance fondamentale : à chaque sous-groupe $H$ du groupe fondamental $\pi_1(X)$ d’un espace $X$ correspond un espace revêtement unique (à isomorphisme près) $\tilde{X}$ tel que $\pi_1(\tilde{X}) \cong H$.
  3. Application : Soit $H$ un sous-groupe du groupe libre $F_n$. On lui associe son espace revêtement $\tilde{X}$ du bouquet de $n$ cercles. On peut montrer que cet espace revêtement est un graphe.
  4. Conclusion : Un théorème de topologie algébrique stipule que le groupe fondamental d’un graphe est toujours un groupe libre. Puisque $H \cong \pi_1(\tilde{X})$ et que $\tilde{X}$ est un graphe, $H$ doit être un groupe libre.

Version Combinatoire (via les graphes de Schreier)

Une autre approche, plus combinatoire et algébrique, utilise la notion de graphe de Schreier.

  1. Graphe de Cayley et graphe de Schreier : On construit le graphe de Cayley du groupe libre $F$, qui est un arbre infini. Pour un sous-groupe $H$, on considère le graphe quotient, appelé graphe des classes (coset graph) de Schreier.
  2. Arbre couvrant : Dans ce graphe de Schreier, on choisit un arbre couvrant maximal (un sous-graphe qui est un arbre et qui connecte tous les sommets).
  3. Générateurs du sous-groupe : Les générateurs du sous-groupe libre $H$ correspondent alors aux arêtes du graphe de Schreier qui ne sont pas dans l’arbre couvrant choisi. On montre que ces générateurs n’ont aucune relation entre eux, formant ainsi une base pour un groupe libre.

Implications et Utilisation

  • Ce théorème est un pilier de la théorie combinatoire des groupes, qui étudie les groupes à travers leurs présentations par générateurs et relations.
  • Formule du rang de Schreier : Le théorème a une conséquence quantitative importante. Si $F$ est un groupe libre de rang fini $n$ et $H$ est un sous-groupe d’indice fini $[F:H]=k$, alors le rang de $H$ (le nombre de générateurs de sa base libre) est donné par la formule : $$ \text{rang}(H) = 1 – k + nk $$
  • Cela implique, par exemple, qu’un sous-groupe d’indice fini d’un groupe libre non abélien est toujours non abélien (car son rang sera supérieur à 1).