Théorème du Rang
Contexte : Noyau, Image et Rang

Soit $f: E \to F$ une application linéaire entre deux K-espaces vectoriels.

  • Le noyau de $f$, noté $Ker(f)$, est le sous-espace de $E$ des vecteurs envoyés sur le vecteur nul de $F$. Sa dimension mesure à quel point l’application « écrase » l’espace de départ.
  • L’image de $f$, notée $Im(f)$, est le sous-espace de $F$ constitué de toutes les images des vecteurs de $E$. Sa dimension, appelée le rang de $f$ (noté $rg(f)$), mesure la « taille » de l’espace atteint par l’application.
Théorème du Rang (ou Théorème de la Dimension)

Soit $f: E \to F$ une application linéaire, avec $E$ un espace vectoriel de dimension finie. Alors, la dimension de l’espace de départ est égale à la somme de la dimension du noyau et de la dimension de l’image (le rang). $$ \dim(E) = \dim(Ker(f)) + \dim(Im(f)) $$ $$ \dim(E) = \dim(Ker(f)) + rg(f) $$

Démonstration Détaillée

La démonstration repose sur la construction d’une base de $E$ adaptée à la situation.

  1. Base du noyau : Soit $p = \dim(Ker(f))$. Le noyau de $f$ est un sous-espace de $E$, on peut donc en extraire une base, notée $\mathcal{B}_K = (e_1, \dots, e_p)$. C’est une famille libre de $E$.
  2. Complétion de la base : D’après le théorème de la base incomplète, on peut compléter cette famille libre en une base de l’espace $E$ tout entier. Soit $\mathcal{B}_E = (e_1, \dots, e_p, v_1, \dots, v_q)$ cette base de $E$. On a alors $\dim(E) = p+q$.
  3. Candidat pour la base de l’image : Montrons que la famille $\mathcal{B}_I = (f(v_1), \dots, f(v_q))$ forme une base de l’image $Im(f)$. Si nous y parvenons, nous aurons $\dim(Im(f)) = q$, et le théorème sera prouvé car $\dim(E) = p+q = \dim(Ker(f)) + \dim(Im(f))$.
  4. $\mathcal{B}_I$ est une famille génératrice de $Im(f)$ : Soit $y$ un vecteur quelconque de $Im(f)$. Il existe donc un $x \in E$ tel que $y=f(x)$. On décompose $x$ dans la base $\mathcal{B}_E$ : $$ x = \sum_{i=1}^p \alpha_i e_i + \sum_{j=1}^q \beta_j v_j $$ Appliquons $f$ à cette décomposition. Par linéarité : $$ y = f(x) = \sum_{i=1}^p \alpha_i f(e_i) + \sum_{j=1}^q \beta_j f(v_j) $$ Comme les $e_i$ sont dans le noyau, $f(e_i)=0$. Il reste donc : $$ y = \sum_{j=1}^q \beta_j f(v_j) $$ Tout vecteur de l’image est bien une combinaison linéaire des vecteurs de $\mathcal{B}_I$. La famille est donc génératrice de $Im(f)$.
  5. $\mathcal{B}_I$ est une famille libre : Considérons une combinaison linéaire nulle : $$ \sum_{j=1}^q \gamma_j f(v_j) = 0 $$ Par linéarité, cela s’écrit $f\left(\sum_{j=1}^q \gamma_j v_j\right) = 0$. Cela signifie que le vecteur $z = \sum_{j=1}^q \gamma_j v_j$ appartient au noyau de $f$. On peut donc le décomposer dans la base du noyau : $z = \sum_{i=1}^p \delta_i e_i$. On a alors l’égalité : $\sum_{j=1}^q \gamma_j v_j = \sum_{i=1}^p \delta_i e_i$, soit $\sum_{j=1}^q \gamma_j v_j – \sum_{i=1}^p \delta_i e_i = 0$. C’est une combinaison linéaire nulle des vecteurs de la base $\mathcal{B}_E$. Puisque $\mathcal{B}_E$ est une base, c’est une famille libre, et donc tous ses coefficients doivent être nuls. En particulier, tous les $\gamma_j$ sont nuls. La famille $\mathcal{B}_I$ est donc libre.

Puisque $\mathcal{B}_I$ est une base de $Im(f)$, on a bien $\dim(Im(f))=q$. La démonstration est achevée.

Implications et Corollaires

Le théorème du rang est particulièrement puissant lorsqu’il est appliqué à un endomorphisme $u: E \to E$ où $E$ est de dimension finie.

Corollaire : Critère de Bijectivité

Soit $u$ un endomorphisme d’un espace vectoriel $E$ de dimension finie. Les propositions suivantes sont équivalentes :

  1. $u$ est injectif (i.e., $Ker(u)=\{0\}$).
  2. $u$ est surjectif (i.e., $Im(u)=E$).
  3. $u$ est bijectif (c’est un automorphisme).

En effet, le théorème du rang $\dim(E) = \dim(Ker(u)) + \dim(Im(u))$ montre que $\dim(Ker(u))=0$ est équivalent à $\dim(Im(u))=\dim(E)$.