Pour comprendre le théorème des résidus, il faut d’abord définir les concepts clés de l’analyse complexe.
- Singularité Isolée : Un point $z_0$ est une singularité isolée d’une fonction $f$ si $f$ est holomorphe dans un voisinage de $z_0$, mais pas en $z_0$ même.
- Série de Laurent : Au voisinage d’une singularité isolée $z_0$, une fonction holomorphe peut être développée en une série de Laurent, qui est une généralisation de la série de Taylor incluant des puissances négatives : $$ f(z) = \sum_{n=-\infty}^{\infty} a_n (z-z_0)^n $$
- Résidu : Le résidu de la fonction $f$ en la singularité $z_0$, noté $Res(f, z_0)$, est le coefficient $a_{-1}$ du terme en $(z-z_0)^{-1}$ dans son développement en série de Laurent. Ce coefficient joue un rôle unique et crucial.
Soit $U$ un ouvert simplement connexe du plan complexe. Soit $f$ une fonction holomorphe sur $U$, sauf en un nombre fini de singularités isolées $z_1, z_2, \dots, z_k$ à l’intérieur de $U$.
Soit $\gamma$ un chemin fermé simple (une boucle qui ne se croise pas), orienté positivement (dans le sens anti-horaire), entièrement contenu dans $U$ et entourant toutes les singularités $z_1, \dots, z_k$.
Alors, l’intégrale de $f$ le long du chemin $\gamma$ est égale à $2\pi i$ fois la somme des résidus de $f$ en chaque singularité intérieure au chemin : $$ \oint_\gamma f(z) \, dz = 2\pi i \sum_{j=1}^k \text{Res}(f, z_j) $$
Esquisse de la Démonstration
La démonstration est une conséquence élégante de la formule intégrale de Cauchy.
- Isoler les singularités : On « déforme » le chemin d’intégration $\gamma$ pour l’entourer de petits cercles $C_j$, chacun centré sur une singularité $z_j$ et orienté négativement (sens horaire). Le nouveau domaine délimité par $\gamma$ et tous les cercles $C_j$ ne contient plus aucune singularité.
- Appliquer le théorème intégral de Cauchy : D’après le théorème intégral de Cauchy, l’intégrale d’une fonction holomorphe sur le bord d’un domaine simplement connexe est nulle. L’intégrale sur le bord de notre nouveau domaine (le grand chemin plus les petits cercles) est donc nulle : $$ \oint_\gamma f(z) \, dz + \sum_{j=1}^k \oint_{C_j} f(z) \, dz = 0 $$
- Calculer les intégrales sur les cercles : On calcule l’intégrale de $f$ sur un petit cercle $C_j$ entourant une singularité $z_j$. En utilisant le développement en série de Laurent de $f$ autour de $z_j$, on montre que les intégrales de tous les termes de la série sont nulles, sauf celle du terme $\frac{a_{-1}}{z-z_j}$. L’intégrale de ce terme vaut $a_{-1} \cdot 2\pi i = \text{Res}(f, z_j) \cdot 2\pi i$.
- Conclusion : En substituant ce résultat dans l’équation de l’étape 2 (et en tenant compte de l’orientation négative des cercles $C_j$), on obtient : $$ \oint_\gamma f(z) \, dz – \sum_{j=1}^k 2\pi i \, \text{Res}(f, z_j) = 0 $$ Ce qui est la formule du théorème des résidus.
Implications et Utilisation
- Calcul d’intégrales : C’est l’outil le plus puissant pour calculer des intégrales complexes. Il transforme un problème analytique (calcul d’une intégrale) en un problème algébrique (trouver les pôles et calculer les résidus).
- Calcul d’intégrales réelles : Son application la plus spectaculaire est le calcul d’intégrales réelles (souvent impropres) qui sont difficiles ou impossibles à calculer avec les méthodes de l’analyse réelle. La technique consiste à étendre l’intégrande au plan complexe, à choisir un contour d’intégration astucieux (souvent un demi-cercle), à appliquer le théorème des résidus, et à montrer que la partie de l’intégrale sur l’arc de cercle tend vers zéro.