La question fondamentale à laquelle répond le théorème de Hahn-Banach est la suivante :
Étant donné une application linéaire (une « fonctionnelle ») définie sur un petit morceau d’un grand espace (un sous-espace vectoriel), peut-on la « prolonger » en une application linéaire sur l’espace tout entier, tout en conservant une certaine propriété de « majoration » ?
- Une fonctionnelle linéaire est une application $f$ d’un espace vectoriel $E$ vers son corps de scalaires ($\mathbb{R}$ ou $\mathbb{C}$) qui respecte la structure linéaire : $f(\alpha x + \beta y) = \alpha f(x) + \beta f(y)$.
- La « propriété de majoration » est souvent liée à la norme. Si $f$ est une fonctionnelle linéaire continue sur un sous-espace $F$, sa norme est finie. On veut la prolonger en une fonctionnelle $\tilde{f}$ sur $E$ tout entier qui ait la même norme.
Soit $E$ un espace vectoriel normé et $F$ un sous-espace vectoriel de $E$.
Soit $f: F \to \mathbb{K}$ (avec $\mathbb{K} = \mathbb{R}$ ou $\mathbb{C}$) une fonctionnelle linéaire continue définie sur $F$.
Alors il existe une fonctionnelle linéaire continue $\tilde{f}: E \to \mathbb{K}$, appelée prolongement de $f$, telle que :
- $\tilde{f}(x) = f(x)$ pour tout $x \in F$ (c’est bien un prolongement).
- $\|\tilde{f}\|_E = \|f\|_F$ (le prolongement préserve la norme).
Aperçu de la Démonstration (Non constructive)
La démonstration est l’un des exemples les plus importants d’un raisonnement non constructif en mathématiques.
- Étape 1 : Prolonger d’un seul vecteur. On montre d’abord que si l’on prend un vecteur $x_0$ qui n’est pas dans $F$, on peut prolonger $f$ au sous-espace engendré par $F$ et $x_0$, tout en préservant la norme. C’est la partie technique et calculatoire de la preuve.
- Étape 2 : L’argument transfini. Pour passer de ce prolongement « d’un pas » à un prolongement sur l’espace entier (qui peut être de dimension infinie), on a besoin d’un outil puissant de la théorie des ensembles : le Lemme de Zorn (qui est équivalent à l’Axiome du Choix).
- On considère l’ensemble de tous les prolongements possibles de $f$ à des sous-espaces plus grands que $F$ qui préservent la norme. Le Lemme de Zorn garantit l’existence d’un « élément maximal » dans cet ensemble. On montre alors que cet élément maximal doit être défini sur l’espace $E$ tout entier, sinon on pourrait le prolonger d’un vecteur de plus (grâce à l’étape 1), ce qui contredirait sa maximalité.
Conséquences Fondamentales
Le théorème de Hahn-Banach ne donne pas de formule pour le prolongement, mais son affirmation d’existence a des conséquences profondes :
- Existence de fonctionnelles continues : Il garantit que l’espace dual $E’$ (l’espace des fonctionnelles linéaires continues sur $E$) n’est jamais vide (sauf si $E$ est l’espace nul). Il y a « suffisamment » de fonctionnelles pour « voir » tous les vecteurs de l’espace.
- Corollaire important : Pour tout vecteur non nul $x_0 \in E$, il existe une fonctionnelle linéaire continue $f \in E’$ telle que $\|f\|=1$ et $f(x_0) = \|x_0\|$. Cela signifie que les fonctionnelles peuvent « isoler » et « mesurer » n’importe quel vecteur.
- Théorèmes de séparation (forme géométrique) : Une autre version du théorème, appelée forme géométrique de Hahn-Banach, est un outil fondamental en optimisation et en analyse convexe. Elle affirme que si l’on a deux ensembles convexes disjoints, on peut toujours trouver un « hyperplan » (défini par une fonctionnelle linéaire) qui les sépare.