Théorème de Frobenius
Contexte : Les Algèbres à Division

Ce théorème classifie toutes les structures algébriques qui se comportent « bien » par rapport à la division.

  • Une algèbre sur les nombres réels est un espace vectoriel où l’on a en plus défini une multiplication entre les vecteurs, qui est distributive par rapport à l’addition.
  • Une algèbre est dite associative si $(x \cdot y) \cdot z = x \cdot (y \cdot z)$.
  • Une algèbre à division est une algèbre où tout élément non nul admet un inverse pour la multiplication. C’est une structure où l’on peut « diviser » par n’importe quel nombre non nul, comme on le fait avec les nombres réels ou complexes.

On connaît trois exemples célèbres d’algèbres à division de dimension finie sur $\mathbb{R}$ : les nombres réels $\mathbb{R}$ (dimension 1), les nombres complexes $\mathbb{C}$ (dimension 2), et les quaternions $\mathbb{H}$ (dimension 4). Les quaternions sont associatifs mais pas commutatifs.

Théorème de Frobenius (1877)

Toute algèbre associative à division de dimension finie sur le corps des nombres réels $\mathbb{R}$ est isomorphe :

  • aux nombres réels $\mathbb{R}$,
  • aux nombres complexes $\mathbb{C}$,
  • ou aux quaternions $\mathbb{H}$.

Il n’y en a pas d’autres. Si on relâche la condition d’associativité, il n’existe qu’une seule autre possibilité : les octonions $\mathbb{O}$ (en dimension 8).

Idée de la Démonstration

La démonstration est un très bel argument d’algèbre linéaire et de polynômes.

  1. Soit $A$ notre algèbre. On prend un élément quelconque $a \in A$. L’ensemble des polynômes en $a$, noté $\mathbb{R}[a]$, forme une sous-algèbre commutative.
  2. Puisque $A$ est de dimension finie, la famille $(1, a, a^2, \dots)$ est liée. Il existe donc un polynôme minimal qui annule $a$.
  3. On utilise le théorème de d’Alembert-Gauss qui nous dit que tout polynôme à coefficients réels se factorise en produit de polynômes de degré 1 ou 2.
  4. Comme $A$ est une algèbre à division (sans diviseur de zéro), le polynôme minimal de $a$ doit être irréductible. Il est donc de degré 1 ou 2.
  5. Si pour tout $a$, le polynôme minimal est de degré 1, alors $a$ est un multiple de l’unité, et $A$ est isomorphe à $\mathbb{R}$.
  6. S’il existe un élément $i$ dont le polynôme minimal est de degré 2 (par exemple $X^2+1=0$), alors la sous-algèbre $\mathbb{R}[i]$ est isomorphe à $\mathbb{C}$. Si c’est tout, $A$ est isomorphe à $\mathbb{C}$.
  7. S’il existe un autre élément $j$ en dehors de cette sous-algèbre complexe, on étudie ses relations avec $i$. L’argumentation devient plus technique, mais on montre que $i$, $j$ et leur produit $k=ij$ doivent se comporter exactement comme les unités des quaternions. On prouve alors que l’algèbre est isomorphe à $\mathbb{H}$.

Importance et Portée

  • Clôture d’une recherche : Ce théorème met un point final à la quête de nouveaux systèmes de nombres généralisant les complexes. Il montre pourquoi les quaternions sont la dernière extension « raisonnable » (associative).
  • Classification en algèbre : C’est un des premiers grands théorèmes de classification en algèbre, qui a ouvert la voie à l’étude systématique des structures algébriques.
  • Lien avec la topologie : Des preuves plus modernes et sophistiquées de ce théorème utilisent des outils de topologie algébrique (groupes d’homotopie des sphères), montrant des liens profonds entre des domaines a priori distincts des mathématiques.