Décomposition Canonique et Théorème du Rang
Théorème : Décomposition Canonique

Soit $f: E \to F$ une application linéaire entre deux K-espaces vectoriels. Il existe un isomorphisme canonique unique, noté $\bar{f}$, qui relie l’espace quotient $E/Ker(f)$ à l’image $Im(f)$.

Cette relation s’inscrit dans un diagramme commutatif où $f$ est la composition de trois applications fondamentales : la surjection canonique $s: E \to E/Ker(f)$, l’isomorphisme $\bar{f}: E/Ker(f) \to Im(f)$, et l’injection canonique $j: Im(f) \to F$. On a ainsi l’égalité : $$ f = j \circ \bar{f} \circ s $$

      f
E ---------> F
|           ^
|s          |j
|           |
v           |
E/Ker(f) --_f--> Im(f)
                

Démonstration

On définit une application $\bar{f}: E/Ker(f) \to Im(f)$ par $\bar{f}(\bar{x}) = f(x)$ pour tout $\bar{x} \in E/Ker(f)$.

L’application est bien définie : Si $\bar{x} = \bar{y}$, alors $x-y \in Ker(f)$, ce qui signifie $f(x-y) = 0_F$. Par linéarité, $f(x)-f(y)=0_F$, donc $f(x)=f(y)$. Le résultat de $\bar{f}(\bar{x})$ ne dépend donc pas du représentant $x$ choisi.

Injectivité : Si $\bar{f}(\bar{x}) = \bar{f}(\bar{y})$, alors $f(x)=f(y)$, ce qui implique $f(x-y)=0_F$. Donc $x-y \in Ker(f)$, ce qui signifie $\bar{x}=\bar{y}$. L’application $\bar{f}$ est injective.

Linéarité et surjectivité : La linéarité et la surjectivité de $\bar{f}$ découlent directement de la linéarité de $f$ et de la définition de $Im(f)$.

Ainsi, $\bar{f}$ est un isomorphisme. La vérification de $f = j \circ \bar{f} \circ s$ est immédiate par construction.

Corollaire : Théorème du Rang

Soit $E$ un K-espace vectoriel de dimension finie et $f: E \to F$ une application linéaire. Alors, la dimension de l’espace de départ est la somme de la dimension du noyau et de la dimension de l’image : $$ \dim(E) = \dim(Ker(f)) + \dim(Im(f)) $$ La dimension de l’image, $\dim(Im(f))$, est aussi appelée le rang de $f$.

Démonstration

D’après le théorème de décomposition canonique, les espaces $E/Ker(f)$ et $Im(f)$ sont isomorphes. Ils ont donc la même dimension : $\dim(E/Ker(f)) = \dim(Im(f))$.

Or, nous savons que pour un sous-espace $F$ d’un espace de dimension finie $E$, on a $\dim(E/F) = \dim(E) – \dim(F)$. En appliquant cette formule avec $F=Ker(f)$, on obtient $\dim(E) – \dim(Ker(f)) = \dim(Im(f))$, ce qui donne directement le résultat attendu.

Corollaire : Critère de Bijectivité en Dimension Finie

Soient $E$ et $F$ deux K-espaces vectoriels de même dimension finie, et $f: E \to F$ une application linéaire. Les propositions suivantes sont équivalentes :

  1. $f$ est injective.
  2. $f$ est surjective.
  3. $f$ est bijective (c’est un isomorphisme).

Démonstration

Utilisons le théorème du rang : $\dim(E) = \dim(Ker(f)) + \dim(Im(f))$.

(i $\implies$ ii) Si $f$ est injective, alors $\dim(Ker(f))=0$. Le théorème du rang devient $\dim(E) = \dim(Im(f))$. Comme par hypothèse $\dim(E) = \dim(F)$, on a $\dim(Im(f)) = \dim(F)$. Puisque $Im(f)$ est un sous-espace de $F$ de même dimension, on a $Im(f)=F$, donc $f$ est surjective.

(ii $\implies$ i) Si $f$ est surjective, alors $\dim(Im(f)) = \dim(F)$. Comme $\dim(E) = \dim(F)$, le théorème du rang donne $\dim(E) = \dim(E) + \dim(Ker(f))$, ce qui implique $\dim(Ker(f))=0$. Le noyau est donc réduit au vecteur nul, et $f$ est injective.

L’équivalence avec (iii) est alors immédiate.

Remarque

Ce corollaire est crucial mais n’est valable qu’en dimension finie. En dimension infinie, une application linéaire peut être injective sans être surjective, et vice-versa. Par exemple, sur l’espace $K[X]$ des polynômes :

  • L’application de dérivation $P \mapsto P’$ est surjective mais non injective (son noyau est l’ensemble des polynômes constants).
  • L’application d’intégration $P(X) \mapsto \int_0^X P(t)dt$ (ou plus simplement $P(X) \mapsto XP(X)$) est injective mais non surjective (son image ne contient pas les polynômes constants non nuls).