Décomposition de Dunford

Dans cette section, nous considérons un K-espace vectoriel $E$ de dimension finie $n$, et un endomorphisme $u$ de $E$ dont le polynôme caractéristique $\chi_u$ est scindé sur $K$. Sa factorisation s’écrit : $$ \chi_u(X) = (X – \lambda_1)^{m_1} (X – \lambda_2)^{m_2} \dots (X – \lambda_r)^{m_r} $$ où les $\lambda_1, \dots, \lambda_r$ sont les valeurs propres distinctes de $u$. Pour chaque valeur propre, on définit le sous-espace caractéristique associé, $N_i = Ker((u – \lambda_i Id_E)^{m_i})$.

Théorème des Projecteurs Spectraux
  1. Chaque sous-espace caractéristique $N_i$ est stable par $u$.
  2. L’espace $E$ est la somme directe de ses sous-espaces caractéristiques : $E = N_1 \oplus N_2 \oplus \dots \oplus N_r$.
  3. La dimension de chaque sous-espace caractéristique est égale à la multiplicité de la valeur propre correspondante : $\dim(N_i) = m_i$.
  4. Pour chaque $i$, la projection $\pi_i$ sur $N_i$ parallèlement à la somme des autres sous-espaces caractéristiques est un polynôme en $u$. De plus, $\sum_{i=1}^r \pi_i = Id_E$.
Définition : Projecteurs Spectraux

Les endomorphismes $\pi_1, \dots, \pi_r$ définis dans le théorème précédent sont appelés les projecteurs spectraux associés à $u$.

Théorème : Décomposition de Dunford

Soit $u$ un endomorphisme d’un K-espace vectoriel $E$ de dimension finie, dont le polynôme caractéristique est scindé sur $K$. Il existe un unique couple $(d, v)$ d’endomorphismes de $E$ tel que :

  1. $u = d + v$.
  2. $d$ est diagonalisable et $v$ est nilpotent.
  3. $d$ et $v$ commutent : $d \circ v = v \circ d$.

De plus, $d$ et $v$ sont des polynômes en $u$.

Démonstration

Existence : Soient $\lambda_1, \dots, \lambda_r$ les valeurs propres distinctes de $u$ et $\pi_1, \dots, \pi_r$ les projecteurs spectraux associés. On définit l’endomorphisme $d$ par : $$ d = \lambda_1 \pi_1 + \lambda_2 \pi_2 + \dots + \lambda_r \pi_r $$ Comme les projecteurs spectraux sont des polynômes en $u$, $d$ est également un polynôme en $u$. De plus, $d$ est diagonalisable car $E$ est la somme directe des sous-espaces $N_i$, et sur chaque $N_i$, $d$ agit comme une homothétie de rapport $\lambda_i$.

On définit ensuite $v = u – d$. Comme $u$ et $d$ sont des polynômes en $u$, ils commutent, et donc $v$ commute avec $d$. Il reste à montrer que $v$ est nilpotent. Pour tout $x \in N_i$, on a $v(x) = u(x) – d(x) = u(x) – \lambda_i x = (u – \lambda_i Id_E)(x)$. Soit $m = \max(m_1, \dots, m_r)$. Pour tout $x_i \in N_i$, on a $v^{m_i}(x_i) = (u – \lambda_i Id_E)^{m_i}(x_i) = 0$. Donc $v^m(x_i)=0$. Comme tout $x \in E$ est une somme de $x_i \in N_i$, on a $v^m(x)=0$, donc $v$ est nilpotent.

Unicité : Supposons qu’il existe un autre couple $(d’, v’)$ vérifiant les conditions. On a $d+v = d’+v’$, donc $d-d’ = v’-v$. Comme $d’$ et $v’$ sont des polynômes en $u$, ils commutent avec $u$ et donc entre eux et avec $d$ et $v$. Ainsi, $d-d’$ est diagonalisable (car $d$ et $d’$ commutent) et $v’-v$ est nilpotent (car $v$ et $v’$ commutent). Un endomorphisme à la fois diagonalisable et nilpotent est nécessairement l’endomorphisme nul. Donc $d-d’=0$ et $v’-v=0$, d’où l’unicité.

Remarque

Ce théorème s’applique également aux matrices. Pour toute matrice $A \in \mathcal{M}_n(K)$ dont le polynôme caractéristique est scindé, il existe une unique matrice diagonalisable $D$ et une unique matrice nilpotente $N$ telles que $A=D+N$ et $DN=ND$. De plus, $D$ et $N$ sont des polynômes en $A$.