Théorèmes de Picard
Contexte : Singularités Essentielles

En analyse complexe, les singularités isolées d’une fonction holomorphe $f$ sont classées en trois types :

  • Singularité Apparente (ou Éliminable) : La fonction peut être prolongée par continuité en ce point.
  • Pôle : Le module de la fonction, $|f(z)|$, tend vers l’infini lorsque $z$ s’approche de la singularité.
  • Singularité Essentielle : C’est le cas le plus « chaotique ». La fonction n’a pas de limite (finie ou infinie) lorsque $z$ s’approche de la singularité. Le théorème de Casorati-Weierstrass affirme que l’image de n’importe quel voisinage de la singularité est dense dans $\mathbb{C}$.

Les théorèmes de Picard vont beaucoup plus loin que Casorati-Weierstrass pour décrire le comportement d’une fonction près d’une singularité essentielle.

Petit Théorème de Picard

Petit Théorème de Picard

Une fonction entière (holomorphe sur tout $\mathbb{C}$) et non constante prend toutes les valeurs du plan complexe, à l’exception d’au plus une.

Remarques et Exemples

  • Ce théorème est une généralisation massive du théorème de Liouville. Le théorème de Liouville dit qu’une fonction entière bornée (qui omet donc tout un disque de valeurs) est constante. Le petit théorème de Picard dit que pour qu’une fonction entière soit non constante, elle ne peut omettre qu’au plus un seul point.
  • Exemple : La fonction exponentielle $f(z) = e^z$ est entière et non constante. Elle prend toutes les valeurs de $\mathbb{C}$ sauf une : la valeur 0. L’équation $e^z=0$ n’a pas de solution. C’est la « valeur exceptionnelle » autorisée par le théorème.

Grand Théorème de Picard

Grand Théorème de Picard

Soit $f$ une fonction holomorphe ayant une singularité essentielle en un point $z_0$. Alors, sur n’importe quel voisinage de $z_0$, la fonction $f$ prend toutes les valeurs du plan complexe, à l’exception d’au plus une, une infinité de fois.

Remarques et Exemples

  • Ce théorème décrit de manière spectaculaire le comportement chaotique d’une fonction près d’une singularité essentielle. Non seulement l’image d’un voisinage est dense dans $\mathbb{C}$ (Casorati-Weierstrass), mais elle recouvre en fait la quasi-totalité du plan complexe, et ce, une infinité de fois.
  • Exemple : La fonction $f(z) = e^{1/z}$ a une singularité essentielle en $z_0=0$. Le grand théorème de Picard affirme que dans n’importe quel disque centré en 0, la fonction prend une infinité de fois toutes les valeurs complexes, sauf au plus une. La valeur exceptionnelle est, comme pour l’exponentielle, la valeur 0. Pour n’importe quel $w \in \mathbb{C}^*$, l’équation $e^{1/z} = w$ a une infinité de solutions $z = \frac{1}{\ln(w) + 2ik\pi}$ qui s’accumulent autour de 0.

Esquisse de la Démonstration

Les démonstrations des deux théorèmes sont très avancées et non-élémentaires. Elles font appel à des outils sophistiqués de l’analyse complexe.

La preuve du grand théorème (qui implique le petit) repose souvent sur l’utilisation de la fonction modulaire elliptique $\lambda$. L’idée est de supposer par l’absurde qu’une fonction $f$ avec une singularité essentielle omet deux valeurs (disons 0 et 1). On peut alors construire une fonction holomorphe qui « remonte » de $\mathbb{C} \setminus \{0,1\}$ vers le disque unité via l’inverse de la fonction modulaire. En utilisant les propriétés de cette fonction et le lemme de Schwarz, on arrive à une contradiction. Cette preuve illustre les liens profonds entre différentes branches de l’analyse complexe.