La méthode pour prouver qu’une forme est un produit scalaire

La Méthode pour Prouver qu’une Forme est un Produit Scalaire

Un produit scalaire sur un espace vectoriel réel $E$ est une opération qui généralise le produit scalaire usuel que l’on connaît dans $\mathbb{R}^2$ ou $\mathbb{R}^3$. Pour qu’une forme bilinéaire $\phi$ soit un produit scalaire, elle doit satisfaire un ensemble de critères stricts qui garantissent qu’on pourra définir des notions de longueur et d’angle de manière cohérente.

Les Quatre Critères à Vérifier

Une application $\phi: E \times E \to \mathbb{R}$ est un produit scalaire si elle est une forme bilinéaire symétrique définie positive. Cela se décompose en quatre points :

  1. Bilinéarité : $\phi$ doit être linéaire par rapport à chaque argument (souvent, la forme de l’expression le garantit).
  2. Symétrie : Pour tous vecteurs $u, v \in E$, on doit avoir $\phi(u, v) = \phi(v, u)$.
  3. Positivité : Pour tout vecteur $u \in E$, on doit avoir $\phi(u, u) \ge 0$.
  4. Définie : $\phi(u, u) = 0$ si et seulement si $u = 0_E$.

La positivité et le caractère défini sont les deux points les plus techniques à vérifier.

Exemple 1 : Une forme sur $\mathbb{R}^2$

Soit $\phi((x_1,y_1), (x_2,y_2)) = 2x_1x_2 + x_1y_2 + y_1x_2 + 2y_1y_2$. Est-ce un produit scalaire ?

1. Symétrie : $\phi((x_2,y_2), (x_1,y_1)) = 2x_2x_1 + x_2y_1 + y_2x_1 + 2y_2y_1$. C’est bien la même expression. La forme est symétrique.

2. Positivité : On étudie la forme quadratique associée $q(x,y) = \phi((x,y),(x,y)) = 2x^2 + 2xy + 2y^2$.
On utilise la réduction de Gauss pour l’écrire comme une somme de carrés :
$q(x,y) = 2(x^2+xy) + 2y^2 = 2[(x+\frac{1}{2}y)^2 – \frac{1}{4}y^2] + 2y^2 = 2(x+\frac{1}{2}y)^2 – \frac{1}{2}y^2 + 2y^2 = 2(x+\frac{1}{2}y)^2 + \frac{3}{2}y^2$.
C’est une somme de carrés avec des coefficients positifs, donc $q(x,y) \ge 0$. La forme est positive.

3. Définie : On résout $q(x,y)=0$.
$2(x+\frac{1}{2}y)^2 + \frac{3}{2}y^2 = 0$. Une somme de carrés est nulle si et seulement si chaque terme est nul.
$\frac{3}{2}y^2 = 0 \implies y=0$.
$2(x+\frac{1}{2}y)^2 = 0 \implies x+\frac{1}{2}y=0$. Comme $y=0$, on a $x=0$.
La seule solution est $(x,y)=(0,0)$. La forme est définie.

Conclusion : Les quatre conditions sont remplies. $\phi$ est un produit scalaire sur $\mathbb{R}^2$.

Exemple 2 : Un contre-exemple (forme non définie)

Soit $\phi((x_1,y_1), (x_2,y_2)) = x_1x_2$. Est-ce un produit scalaire sur $\mathbb{R}^2$?

Symétrie : $x_1x_2=x_2x_1$, OK.
Positivité : $q(x,y) = x^2 \ge 0$, OK.
Définie : On résout $q(x,y)=0 \implies x^2=0 \implies x=0$.
Cette équation n’impose aucune condition sur $y$. Tous les vecteurs de la forme $(0,y)$ annulent la forme quadratique (par exemple le vecteur non nul $(0,1)$).

Conclusion : La forme n’est pas définie. Ce n’est pas un produit scalaire.

Exemple 3 : Sur un espace de polynômes

Sur $E = \mathbb{R}_1[X]$, soit $\phi(P,Q) = \int_0^1 P(t)Q(t) dt$.

Symétrie : $\int_0^1 P(t)Q(t) dt = \int_0^1 Q(t)P(t) dt$. OK.

Positivité : $q(P) = \int_0^1 P(t)^2 dt$. La fonction $t \mapsto P(t)^2$ est toujours positive, donc son intégrale sur $[0,1]$ est positive. OK.

Définie : On résout $q(P)=0 \implies \int_0^1 P(t)^2 dt = 0$.
L’intégrale d’une fonction continue et positive est nulle si et seulement si la fonction est identiquement nulle sur l’intervalle.
Donc $P(t)^2=0$ pour tout $t \in [0,1]$, ce qui signifie $P(t)=0$ pour tout $t \in [0,1]$.
Un polynôme qui a une infinité de racines est le polynôme nul. Donc $P=0_E$. OK.

Conclusion : $\phi$ est un produit scalaire sur $\mathbb{R}_1[X]$.

Le Point de Vue Matriciel

Une forme bilinéaire $\phi$ est un produit scalaire si et seulement si sa matrice $A$ dans n’importe quelle base est une matrice symétrique définie positive.

Pour vérifier qu’une matrice symétrique est définie positive, on peut utiliser le critère de Sylvester : tous ses mineurs principaux dominants (les déterminants des sous-matrices en haut à gauche) doivent être strictement positifs.