Multiplicité algébrique vs géométrique d’une valeur propre

Multiplicité Algébrique vs Géométrique d’une Valeur Propre

Lorsqu’on étudie les valeurs propres d’une matrice, on leur associe deux « mesures » de leur importance : la multiplicité algébrique et la multiplicité géométrique. Bien qu’elles soient liées, leur égalité (ou non) est la condition clé qui détermine si une matrice est diagonalisable.

Définitions
  • La multiplicité algébrique $m_a(\lambda)$ d’une valeur propre $\lambda$ est sa multiplicité en tant que racine du polynôme caractéristique. C’est le nombre de fois que le facteur $(X-\lambda)$ apparaît dans la factorisation de $\chi_A(X)$.
  • La multiplicité géométrique $m_g(\lambda)$ d’une valeur propre $\lambda$ est la dimension du sous-espace propre associé, $E_\lambda$. C’est le nombre de vecteurs propres linéairement indépendants que l’on peut trouver pour cette valeur propre.
    $m_g(\lambda) = \dim(E_\lambda) = \dim(\text{Ker}(A – \lambda I_n))$.

Exemple 1 : Le cas où tout va bien (multiplicités égales)

Soit $A = \begin{pmatrix} 2 & 0 & 0 \\ 0 & 2 & 0 \\ 0 & 0 & 3 \end{pmatrix}$.

Polynôme caractéristique : $\chi_A(X) = (2-X)^2(3-X)$.

Pour la valeur propre $\lambda=2$ :
– La multiplicité algébrique est 2 (car le facteur est $(2-X)^2$).
– La multiplicité géométrique est $\dim(\text{Ker}(A-2I))$.
$A-2I = \begin{pmatrix} 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 1 \end{pmatrix}$. Le noyau est l’ensemble des vecteurs $(x,y,z)$ tels que $z=0$. C’est le plan $\text{Vect}((1,0,0), (0,1,0))$. Sa dimension est 2.
Donc $m_g(2)=2$.

Pour la valeur propre $\lambda=3$ :
– La multiplicité algébrique est 1.
– La multiplicité géométrique est $\dim(\text{Ker}(A-3I)) = \dim(\text{Ker}\begin{pmatrix} -1 & 0 & 0 \\ 0 & -1 & 0 \\ 0 & 0 & 0 \end{pmatrix}) = 1$.

Ici, pour chaque valeur propre, la multiplicité algébrique est égale à la multiplicité géométrique. La matrice est donc diagonalisable.

Exemple 2 : Le cas où les multiplicités diffèrent

Soit $B = \begin{pmatrix} 2 & 1 & 0 \\ 0 & 2 & 0 \\ 0 & 0 & 3 \end{pmatrix}$.

Polynôme caractéristique : $\chi_B(X) = (2-X)^2(3-X)$.

Pour la valeur propre $\lambda=2$ :
– La multiplicité algébrique est 2.
– La multiplicité géométrique est $\dim(\text{Ker}(B-2I))$.
$B-2I = \begin{pmatrix} 0 & 1 & 0 \\ 0 & 0 & 0 \\ 0 & 0 & 1 \end{pmatrix}$. Le noyau est l’ensemble des vecteurs $(x,y,z)$ tels que $y=0$ et $z=0$. C’est la droite $\text{Vect}((1,0,0))$. Sa dimension est 1.
Donc $m_g(2)=1$.

On a $m_g(2) < m_a(2)$. On n'a pas "assez" de vecteurs propres pour la valeur propre 2. La matrice $B$ n'est pas diagonalisable.

Exemple 3 : Matrice de l’article précédent

Dans l’article sur le polynôme caractéristique, nous avons étudié $A = \begin{pmatrix} 2 & -1 & -1 \\ 0 & 3 & 0 \\ -1 & -1 & 2 \end{pmatrix}$ et trouvé $\chi_A(X) = -(X-3)^2(X-1)$.

Pour la valeur propre $\lambda=3$ :
– Multiplicité algébrique : $m_a(3)=2$.
– Multiplicité géométrique : $\dim(\text{Ker}(A-3I))$.
$A-3I = \begin{pmatrix} -1 & -1 & -1 \\ 0 & 0 & 0 \\ -1 & -1 & -1 \end{pmatrix}$. Cette matrice est de rang 1. D’après le théorème du rang, la dimension de son noyau est $3 – \text{rang} = 3-1=2$.
Donc $m_g(3)=2$.

Conclusion : Pour $\lambda=3$, on a $m_a(3)=m_g(3)=2$. Pour $\lambda=1$, on aura $m_a(1)=m_g(1)=1$. Comme les multiplicités sont égales pour toutes les valeurs propres, cette matrice est diagonalisable.

Le Critère de Diagonalisation

C’est le résultat fondamental à retenir.

  • Pour n’importe quelle valeur propre $\lambda$, on a toujours la relation : $1 \le m_g(\lambda) \le m_a(\lambda)$.
  • Une matrice carrée $A$ est diagonalisable si et seulement si son polynôme caractéristique est scindé (ses racines sont dans le corps de base) ET pour chaque valeur propre $\lambda$, sa multiplicité géométrique est égale à sa multiplicité algébrique.