Théorème de Baire
Contexte : Espaces Complets et Ensembles Maigres

Pour formuler le théorème de Baire, nous avons besoin de plusieurs concepts de topologie.

  • Espace Métrique Complet : Un espace métrique $(E, d)$ est dit complet si toute suite de Cauchy de points de $E$ converge vers un point de $E$. Intuitivement, il n’y a pas de « trou » dans l’espace. L’ensemble des réels $\mathbb{R}$ est complet, mais l’ensemble des rationnels $\mathbb{Q}$ ne l’est pas.
  • Ensemble Dense : Une partie $D$ d’un espace topologique $E$ est dense si son adhérence est l’espace tout entier ($\overline{D}=E$). Cela signifie que l’on peut trouver des points de $D$ arbitrairement proches de n’importe quel point de $E$.
  • Ensemble Nulle Part Dense (ou Rare) : Une partie $A$ de $E$ est nulle part dense si l’intérieur de son adhérence est vide ($\text{int}(\overline{A}) = \emptyset$). Un tel ensemble ne « remplit » aucun ouvert, aussi petit soit-il.
  • Ensemble Maigre (ou de Première Catégorie de Baire) : Un ensemble est dit maigre s’il est une union dénombrable d’ensembles nulle part denses. Intuitivement, c’est un ensemble « petit » du point de vue topologique.
Théorème de Baire

Le théorème se présente sous plusieurs formes équivalentes.

  • Version 1 (Oùverts Denses) : Dans un espace métrique complet non vide, toute intersection dénombrable d’ensembles ouverts denses est encore un ensemble dense (et donc non vide).
  • Version 2 (Fermés d’Intérieur Vide) : Un espace métrique complet non vide ne peut pas être une union dénombrable d’ensembles fermés d’intérieur vide.
  • Version 3 (Ensembles Maigres) : Dans un espace métrique complet, le complémentaire d’un ensemble maigre est dense. En particulier, un espace métrique complet non vide n’est pas maigre en lui-même.

Esquisse de la Démonstration (de la Version 1)

La démonstration est une construction par « emboîtement » qui utilise la complétude de l’espace.

  1. Mise en place : Soit $(E,d)$ un espace métrique complet non vide et soit $(O_n)_{n \in \mathbb{N}}$ une suite d’ouverts denses dans $E$. Nous voulons montrer que leur intersection $O = \bigcap_{n=0}^\infty O_n$ est dense. Pour cela, il suffit de montrer que $O$ rencontre n’importe quelle boule ouverte non vide $B_0$ de $E$.
  2. Construction d’une suite de boules emboîtées : On construit par récurrence une suite de boules fermées $\overline{B_n} = \overline{B}(x_n, r_n)$ :
    • Initialisation : $O_0$ est dense, donc il rencontre $B_0$. Leur intersection est un ouvert non vide, on peut donc y trouver une boule fermée $\overline{B_1}$ de rayon $r_1 < 1$.
    • Hérédité : Supposons $\overline{B_n}$ construite. L’ouvert $O_n$ est dense, donc il rencontre l’intérieur de $\overline{B_n}$. Leur intersection est un ouvert non vide, on peut donc y trouver une boule fermée $\overline{B_{n+1}}$ de rayon $r_{n+1} < 1/(n+1)$ telle que $\overline{B_{n+1}} \subset O_n \cap B_n$.
    On obtient une suite de boules fermées emboîtées $\overline{B_1} \supset \overline{B_2} \supset \dots$ dont le rayon $r_n$ tend vers 0.
  3. Convergence de la suite des centres : La suite des centres $(x_n)$ de ces boules est une suite de Cauchy. En effet, pour $p > q$, $x_p$ est dans $\overline{B_q}$, donc $d(x_p, x_q) \le r_q$, qui tend vers 0.
  4. Utilisation de la complétude : Puisque $E$ est complet, la suite de Cauchy $(x_n)$ converge vers une limite $x \in E$.
  5. Conclusion : Pour tout $k$, le point $x$ est la limite de la suite $(x_{n})_{n \ge k}$, qui est entièrement contenue dans la boule fermée $\overline{B_k}$. Donc $x \in \overline{B_k}$. Par construction, $\overline{B_k} \subset O_{k-1}$ et $\overline{B_k} \subset B_0$. Le point $x$ appartient donc à $B_0$ et à tous les $O_{k-1}$. Il appartient donc à l’intersection $O \cap B_0$. Puisque l’intersection est non vide pour n’importe quelle boule $B_0$, l’ensemble $O$ est dense.

Implications et Applications Fondamentales

Le théorème de Baire est un outil d’existence puissant en analyse fonctionnelle. Il est la clé de la démonstration de trois des théorèmes les plus importants du domaine :

  • Le Théorème de l’Application Ouverte : Toute application linéaire continue et surjective entre deux espaces de Banach est une application ouverte.
  • Le Théorème du Graphe Fermé : Une application linéaire entre deux espaces de Banach est continue si et seulement si son graphe est fermé.
  • Le Théorème de Banach-Steinhaus (Principe de la Borne Uniforme) : Une famille d’opérateurs linéaires continus sur un espace de Banach est uniformément bornée si elle est simplement bornée.

Il est aussi utilisé pour prouver l’existence d’objets « pathologiques », comme des fonctions continues mais nulle part dérivables.