Théorème de Heine-Borel
Contexte : Compacité et Recouvrements

La notion de compacité est centrale en analyse et en topologie. Intuitivement, un ensemble compact est un ensemble qui possède des propriétés de « finitude », même s’il est infini. La définition formelle de la compacité est assez abstraite :

  • Recouvrement Ouvert : Un recouvrement ouvert d’un ensemble $A$ est une collection d’ensembles ouverts dont la réunion contient $A$.
  • Sous-recouvrement Fini : C’est un sous-ensemble fini de la collection d’ouverts qui suffit encore à recouvrir $A$.
  • Définition de la Compacité : Un ensemble $A$ est dit compact si de tout recouvrement ouvert de $A$, on peut extraire un sous-recouvrement fini.

Cette définition est puissante mais peu pratique à vérifier. Le théorème de Heine-Borel fournit une caractérisation beaucoup plus simple et concrète des ensembles compacts dans les espaces euclidiens.

Théorème de Heine-Borel

Une partie de l’espace euclidien $\mathbb{R}^n$ est compacte si et seulement si elle est fermée et bornée.

Démonstration (pour un segment de $\mathbb{R}$)

Nous allons démontrer le théorème pour le cas le plus simple et le plus fondamental : un segment $[a,b]$ de $\mathbb{R}$.

Partie 1 : Compact $\implies$ Fermé et Borné

Cette implication est vraie dans tout espace métrique.

  • Borné : Soit $A$ un ensemble compact. On peut le recouvrir par la collection d’intervalles ouverts $I_n = ]-n, n[$ pour $n \in \mathbb{N}$. Comme $A$ est compact, un nombre fini de ces intervalles suffit à le recouvrir. Si $I_N$ est le plus grand de ces intervalles, alors $A \subseteq I_N$, ce qui prouve que $A$ est borné.
  • Fermé : On montre que le complémentaire de $A$ est ouvert. Soit $x \notin A$. Pour chaque $y \in A$, on peut trouver deux boules ouvertes disjointes, une centrée en $x$ et une en $y$. La collection de toutes les boules centrées sur les points de $A$ forme un recouvrement ouvert de $A$. Par compacité, un nombre fini de ces boules suffit. L’intersection des boules correspondantes centrées en $x$ est un voisinage de $x$ qui ne rencontre pas $A$. Le complémentaire de $A$ est donc bien ouvert, et $A$ est fermé.

Partie 2 : Fermé et Borné $\implies$ Compact (pour $[a,b] \subset \mathbb{R}$)

C’est la partie la plus difficile, qui repose sur les propriétés de $\mathbb{R}$. Soit $[a,b]$ un segment et soit $\mathcal{F} = \{O_i\}_{i \in I}$ un recouvrement ouvert quelconque de $[a,b]$. Nous devons montrer qu’on peut en extraire un sous-recouvrement fini. On raisonne par l’absurde.

  1. Hypothèse par l’absurde : Supposons qu’aucun sous-ensemble fini de $\mathcal{F}$ ne recouvre $[a,b]$.
  2. Construction par dichotomie : On construit une suite de segments emboîtés $[a_k, b_k]$ :
    • On pose $[a_0, b_0] = [a,b]$.
    • On coupe $[a_k, b_k]$ en son milieu. Au moins l’une des deux moitiés ne peut pas être recouverte par un nombre fini d’ouverts de $\mathcal{F}$ (sinon leur union le serait aussi). On choisit cette moitié et on la nomme $[a_{k+1}, b_{k+1}]$.
    On obtient une suite de segments emboîtés $[a_k, b_k]$ dont la longueur $b_k-a_k = \frac{b-a}{2^k}$ tend vers 0.
  3. Théorème des segments emboîtés : L’intersection de tous ces segments n’est pas vide et contient un unique point, disons $c$. On a $\lim a_k = \lim b_k = c$.
  4. La Contradiction : Le point $c$ appartient à $[a,b]$. Puisque $\mathcal{F}$ est un recouvrement de $[a,b]$, il existe au moins un ouvert $O_j \in \mathcal{F}$ tel que $c \in O_j$. Comme $O_j$ est ouvert, il existe un $\epsilon > 0$ tel que l’intervalle $]c-\epsilon, c+\epsilon[$ soit entièrement inclus dans $O_j$.
    Puisque la longueur des segments $[a_k, b_k]$ tend vers 0, on peut trouver un rang $K$ assez grand pour que le segment $[a_K, b_K]$ soit entièrement inclus dans l’intervalle $]c-\epsilon, c+\epsilon[$.
    Cela signifie que le segment $[a_K, b_K]$ est entièrement recouvert par un seul ouvert de $\mathcal{F}$, à savoir $O_j$. Mais ceci contredit la construction même de $[a_K, b_K]$, qui stipulait qu’il ne pouvait pas être recouvert par un nombre fini d’ouverts de $\mathcal{F}$.
  5. Conclusion : L’hypothèse de départ est fausse. Tout recouvrement ouvert de $[a,b]$ doit admettre un sous-recouvrement fini. Le segment $[a,b]$ est donc compact.

Implications

  • Ce théorème est équivalent au théorème de Bolzano-Weierstrass (de toute suite bornée on peut extraire une sous-suite convergente).
  • Il est fondamental pour prouver que toute fonction continue sur un ensemble compact (fermé et borné dans $\mathbb{R}^n$) est non seulement bornée et atteint ses bornes, mais est aussi uniformément continue.