Théorème de la Base Incomplète
Contexte : Familles Libres et Génératrices

Dans un espace vectoriel, une famille libre est un ensemble de vecteurs dont aucun ne peut s’écrire comme une combinaison linéaire des autres. Une famille génératrice est un ensemble de vecteurs à partir duquel on peut construire n’importe quel autre vecteur de l’espace par combinaison linéaire.

Le théorème de la base incomplète établit un lien fondamental entre ces deux concepts : il montre comment on peut « agrandir » une famille libre pour qu’elle devienne une base, en piochant des vecteurs dans une famille génératrice.

Théorème de la Base Incomplète

Soit $E$ un K-espace vectoriel de dimension finie. Soit $L$ une famille libre de vecteurs de $E$, et soit $A$ une famille génératrice de $E$ qui contient $L$ (c’est-à-dire $L \subseteq A$).

Alors, il est possible d’extraire de $A$ une base $B$ de $E$ qui contient tous les vecteurs de $L$. Formellement : $$ \exists B \text{ base de } E \text{ telle que } L \subseteq B \subseteq A $$

Démonstration (pour la dimension finie)

Soit $\mathcal{F}$ l’ensemble de toutes les familles libres $G$ de $E$ qui vérifient la condition d’inclusion $L \subseteq G \subseteq A$.

  1. Existence d’un élément maximal : L’ensemble $\mathcal{F}$ n’est pas vide, car la famille $L$ elle-même est libre et vérifie les inclusions ($L \subseteq L \subseteq A$), donc $L \in \mathcal{F}$. Puisque $E$ est de dimension finie, disons $n$, le cardinal de toute famille libre est au plus $n$. L’ensemble des cardinaux des familles de $\mathcal{F}$ est donc un ensemble d’entiers non vide et majoré. Il admet par conséquent un plus grand élément. Il existe donc au moins une famille dans $\mathcal{F}$, que nous noterons $B$, qui a un cardinal maximal.
  2. $B$ est une famille libre : Par construction, $B$ est un élément de $\mathcal{F}$, donc $B$ est une famille libre.
  3. $B$ est une famille génératrice : Il nous reste à montrer que $B$ engendre tout l’espace $E$. Comme $A$ est une famille génératrice de $E$, il suffit de montrer que tous les vecteurs de $A$ peuvent s’écrire comme une combinaison linéaire des vecteurs de $B$ (c’est-à-dire $A \subseteq Vect(B)$).
    Raisonnons par l’absurde. Supposons qu’il existe un vecteur $x \in A$ tel que $x \notin Vect(B)$.
    Considérons la nouvelle famille $B’ = B \cup \{x\}$. Puisque $B$ est libre et que $x$ n’est pas dans l’espace engendré par $B$, la famille $B’$ est également libre.
    De plus, comme $L \subseteq B$ et $x \in A$, on a $L \subseteq B’ \subseteq A$. La famille $B’$ est donc un élément de $\mathcal{F}$.
    Cependant, le cardinal de $B’$ est strictement supérieur à celui de $B$, car $x \notin B$ (sinon $x$ serait dans $Vect(B)$). Ceci contredit le fait que $B$ a un cardinal maximal dans $\mathcal{F}$.
    L’hypothèse de départ est donc fausse. On doit avoir $A \subseteq Vect(B)$, ce qui prouve que $B$ est une famille génératrice de $E$.

Puisque $B$ est à la fois libre et génératrice, c’est une base de $E$. Par construction, elle vérifie $L \subseteq B \subseteq A$.

Corollaires Importants

Ce théorème a deux conséquences fondamentales :

  1. Toute famille libre peut être complétée en une base : En prenant $A=E$ (qui est une famille génératrice triviale), le théorème garantit qu’on peut ajouter des vecteurs à n’importe quelle famille libre pour former une base.
  2. De toute famille génératrice, on peut extraire une base : En prenant $L=\emptyset$ (qui est une famille libre), le théorème garantit qu’on peut retirer des vecteurs d’une famille génératrice pour obtenir une base.