Théorème des Quatre Carrés de Lagrange
Contexte : Sommes de Carrés

En théorie des nombres, un problème classique est de déterminer si un entier peut être écrit comme la somme de carrés d’autres entiers.

  • Certains entiers sont des sommes de deux carrés (ex: $5 = 1^2 + 2^2$, $13 = 2^2 + 3^2$), mais beaucoup ne le sont pas (ex: 3, 6, 7).
  • Certains entiers sont des sommes de trois carrés (ex: $3=1^2+1^2+1^2$, $6=2^2+1^2+1^2$), mais d’autres ne le sont pas (ex: 7, 15).

La question se pose alors : de combien de carrés a-t-on besoin au maximum pour être sûr de pouvoir représenter n’importe quel entier naturel ? La réponse a été conjecturée par Bachet en 1621 et prouvée par Lagrange en 1770.

Théorème des Quatre Carrés de Lagrange

Tout entier naturel peut s’écrire comme la somme de quatre carrés d’entiers.

Formellement, pour tout $n \in \mathbb{N}$, il existe quatre entiers $a, b, c, d \in \mathbb{Z}$ (dont certains peuvent être nuls) tels que : $$ n = a^2 + b^2 + c^2 + d^2 $$

Esquisse de la Démonstration

La démonstration est un chef-d’œuvre d’ingéniosité qui se déroule en plusieurs étapes clés.

Étape 1 : L’Identité des Quatre Carrés d’Euler

La première étape cruciale est une identité algébrique découverte par Euler, qui montre que le produit de deux sommes de quatre carrés est lui-même une somme de quatre carrés. Si $N_1 = a_1^2+b_1^2+c_1^2+d_1^2$ et $N_2 = a_2^2+b_2^2+c_2^2+d_2^2$, alors leur produit $N_1 N_2$ peut s’écrire :

$(a_1a_2 – b_1b_2 – c_1c_2 – d_1d_2)^2 +$
$(a_1b_2 + b_1a_2 + c_1d_2 – d_1c_2)^2 +$
$(a_1c_2 – b_1d_2 + c_1a_2 + d_1b_2)^2 +$
$(a_1d_2 + b_1c_2 – c_1b_2 + d_1a_2)^2$

Cette identité (qui peut être prouvée élégamment en utilisant les quaternions) implique que si deux nombres peuvent être écrits comme des sommes de quatre carrés, leur produit le peut aussi.

Étape 2 : Réduction aux Nombres Premiers

Grâce à l’identité d’Euler et au théorème fondamental de l’arithmétique (tout entier est un produit de nombres premiers), il suffit de prouver le théorème pour tous les nombres premiers. En effet, si chaque nombre premier peut s’écrire comme une somme de quatre carrés, alors leur produit (c’est-à-dire n’importe quel entier) le pourra aussi.

De plus, les cas $0=0^2+0^2+0^2+0^2$, $1=1^2+0^2+0^2+0^2$ et $2=1^2+1^2+0^2+0^2$ sont triviaux. Il ne reste donc qu’à prouver le théorème pour les nombres premiers impairs.

Étape 3 : Preuve pour les Nombres Premiers Impairs

C’est la partie la plus difficile. Elle se décompose elle-même en deux sous-étapes.

  1. Existence d’un multiple : On montre d’abord que pour tout nombre premier impair $p$, il existe un multiple de $p$, disons $mp$, qui peut s’écrire comme une somme de quatre carrés, avec $1 \le m < p$. Pour cela, on utilise le principe des tiroirs pour montrer qu'il existe deux entiers $x$ et $y$ tels que $x^2 \equiv -(y^2+1) \pmod{p}$. Cela signifie que $x^2+y^2+1^2+0^2$ est un multiple de $p$.
  2. Descente infinie de Fermat : C’est l’argument final. On a trouvé un multiple $mp$ qui est une somme de quatre carrés. On montre que si $m > 1$, on peut toujours trouver un autre multiple $m’p$ qui est aussi une somme de quatre carrés, avec $m’ < m$. En répétant ce processus de "descente", on finira inévitablement par atteindre $m=1$. On aura alors montré que $1 \cdot p = p$ est une somme de quatre carrés.

Implications et Généralisations

  • Le théorème de Lagrange est un résultat d’existence. Il ne dit pas combien de décompositions existent ni comment les trouver efficacement.
  • Le théorème des nombres polygonaux de Fermat, dont le théorème des quatre carrés est un cas particulier, stipule que tout entier est une somme de $n$ nombres $n$-gonaux.
  • Le problème de Waring généralise cette question en demandant combien de $k$-ièmes puissances sont nécessaires pour représenter n’importe quel entier. Par exemple, tout entier est une somme de 9 cubes et de 19 quatrièmes puissances.