Contexte : Fonctions Entières et Bornées
En analyse complexe, on s’intéresse aux fonctions holomorphes (dérivables au sens complexe).
- Une fonction est dite entière si elle est holomorphe sur tout le plan complexe $\mathbb{C}$. Les polynômes et la fonction exponentielle en sont des exemples typiques.
- Une fonction $f$ est dite bornée s’il existe un nombre réel $M \ge 0$ tel que $|f(z)| \le M$ pour tout $z$ dans son domaine de définition.
Le théorème de Liouville établit un lien très fort entre ces deux propriétés : il montre qu’il est très « difficile » pour une fonction d’être à la fois entière et bornée.
Théorème de Liouville
Toute fonction entière et bornée est constante.
Démonstration Détaillée
La démonstration est une application directe et élégante des inégalités de Cauchy pour les coefficients du développement en série d’une fonction holomorphe.
- Développement en série entière : Soit $f$ une fonction entière. Elle est développable en série entière sur tout le plan complexe. En particulier, autour de l’origine, on peut écrire : $$ f(z) = \sum_{n=0}^\infty a_n z^n $$ où les coefficients $a_n$ sont donnés par la formule intégrale de Cauchy : $$ a_n = \frac{f^{(n)}(0)}{n!} = \frac{1}{2\pi i} \oint_{C_R} \frac{f(\zeta)}{\zeta^{n+1}} d\zeta $$ Ici, $C_R$ est un cercle de rayon $R$ centré à l’origine, parcouru dans le sens anti-horaire.
- Hypothèse « bornée » : Supposons que $f$ est bornée. Il existe donc une constante $M > 0$ telle que $|f(z)| \le M$ pour tout $z \in \mathbb{C}$.
- Inégalités de Cauchy : On majore le module des coefficients $a_n$. Pour tout rayon $R > 0$ : $$ |a_n| = \left| \frac{1}{2\pi i} \oint_{C_R} \frac{f(\zeta)}{\zeta^{n+1}} d\zeta \right| \le \frac{1}{2\pi} \oint_{C_R} \frac{|f(\zeta)|}{|\zeta|^{n+1}} |d\zeta| $$ Sur le cercle $C_R$, on a $|\zeta|=R$ et $|f(\zeta)| \le M$. La longueur du chemin d’intégration est $2\pi R$. On obtient donc : $$ |a_n| \le \frac{1}{2\pi} \frac{M}{R^{n+1}} (2\pi R) = \frac{M}{R^n} $$
- Analyse des coefficients pour n > 0 : Considérons un coefficient $a_n$ avec $n \ge 1$. L’inégalité $|a_n| \le \frac{M}{R^n}$ est vraie pour n’importe quel rayon $R > 0$. On peut donc faire tendre $R$ vers l’infini. $$ \lim_{R \to \infty} \frac{M}{R^n} = 0 $$ Puisque $|a_n|$ est un nombre fixe non négatif qui est plus petit que n’importe quel nombre arbitrairement petit, il doit être nul. On a donc $a_n = 0$ pour tout $n \ge 1$.
- Conclusion : Le développement en série de $f$ se réduit à son premier terme : $$ f(z) = a_0 + 0 \cdot z + 0 \cdot z^2 + \dots = a_0 $$ La fonction $f$ est donc une fonction constante, égale à $f(0)$.
Implications Fondamentales
- Théorème Fondamental de l’Algèbre : Le théorème de Liouville est l’ingrédient clé d’une des preuves les plus simples du théorème fondamental de l’algèbre (voir le document correspondant). Si un polynôme $P(z)$ n’avait pas de racine, la fonction $1/P(z)$ serait entière et bornée, donc constante, ce qui est une contradiction.
- Rigidité des fonctions holomorphes : Ce théorème illustre la « rigidité » des fonctions holomorphes. Contrairement aux fonctions réelles, une fonction holomorphe ne peut pas être à la fois définie partout et bornée sans être triviale (constante).