Considérons un langage formel $L$ (comme le langage de l’arithmétique) capable d’exprimer des énoncés sur les nombres naturels. Un tel langage peut être interprété dans une structure, le modèle standard de l’arithmétique (l’ensemble $\mathbb{N}$ avec les opérations usuelles $+, \times$).
Dans ce modèle, chaque énoncé (formule close) du langage est soit vrai, soit faux. Par exemple, l’énoncé « $\forall x, x+1 > x$ » est vrai dans le modèle standard.
La question que Tarski se pose est la suivante : peut-on, à l’intérieur du langage $L$ lui-même, définir un « prédicat de vérité » ? C’est-à-dire, peut-on trouver une formule, notons-la $Vrai(x)$, qui serait vraie si et seulement si $x$ est le code (le numéro de Gödel) d’un énoncé vrai ?
Pour tout système formel $T$ suffisamment puissant pour contenir l’arithmétique, l’ensemble des énoncés vrais de $T$ n’est pas définissable arithmétiquement.
Autrement dit, il n’existe aucune formule $Vrai(x)$ dans le langage de l’arithmétique telle que pour toute formule $\varphi$, on ait : $$ T \vdash (Vrai(g_\varphi) \iff \varphi) $$ où $g_\varphi$ est le numéro de Gödel de la formule $\varphi$.
En termes plus simples, la vérité arithmétique ne peut pas être définie par l’arithmétique elle-même.
Esquisse de la Démonstration
La démonstration est une formalisation du paradoxe du menteur (« Cette phrase est fausse »). Elle utilise, comme les théorèmes de Gödel, le lemme de diagonalisation.
Étape 1 : Hypothèse par l’Absurde
Supposons qu’un tel prédicat de vérité existe. On suppose donc qu’il existe une formule $Vrai(x)$ dans le langage de l’arithmétique qui capture parfaitement la notion de vérité. Pour toute formule $\varphi$, la formule $Vrai(g_\varphi)$ est vraie si et seulement si $\varphi$ est vraie.
Étape 2 : Le Lemme de Diagonalisation
Le lemme de diagonalisation (ou lemme du point fixe) est un outil puissant qui permet de construire des formules auto-référentielles. Il affirme que pour toute formule $\psi(x)$ avec une variable libre $x$, il existe une formule close (un énoncé) $L$ telle que le système puisse démontrer l’équivalence : $$ T \vdash (L \iff \psi(g_L)) $$ où $g_L$ est le numéro de Gödel de $L$. Essentiellement, $L$ est un énoncé qui dit « Je possède la propriété $\psi$ ».
Étape 3 : Construction de la Phrase Menteuse
Appliquons le lemme de diagonalisation à la formule $\neg Vrai(x)$. Le lemme nous garantit l’existence d’un énoncé, que nous appellerons $L$ (pour « Liar », le menteur), tel que : $$ T \vdash (L \iff \neg Vrai(g_L)) $$ Cet énoncé $L$ dit littéralement : « La formule dont le numéro de Gödel est $g_L$ n’est pas vraie », c’est-à-dire « Je suis fausse ».
Étape 4 : La Contradiction
Nous avons maintenant deux affirmations :
- $L \iff \neg Vrai(g_L)$ (par construction de $L$)
- $Vrai(g_L) \iff L$ (par l’hypothèse d’existence du prédicat de vérité $Vrai(x)$)
En substituant la seconde affirmation dans la première, on obtient : $$ L \iff \neg L $$ Ceci est une contradiction logique formelle. L’hypothèse de départ, à savoir l’existence d’un prédicat de vérité $Vrai(x)$ définissable dans le langage de l’arithmétique, doit donc être fausse.
Implications et Distinction avec le Théorème de Gödel
Le théorème de Tarski est souvent confondu avec les théorèmes de Gödel, mais il est conceptuellement différent.
- Le théorème de Gödel porte sur la démontrabilité (une notion syntaxique). Il dit qu’il existe des énoncés vrais mais non démontrables.
- Le théorème de Tarski porte sur la vérité (une notion sémantique). Il dit que l’ensemble de tous les énoncés vrais ne peut pas être *défini* par une formule du langage lui-même.
Le résultat de Tarski implique une hiérarchie infinie de langages. Pour parler de la vérité d’un langage $L_0$, il faut utiliser un « méta-langage » $L_1$ plus riche. Pour parler de la vérité de $L_1$, il faut un méta-méta-langage $L_2$, et ainsi de suite. Il n’existe pas de langage « ultime » capable de définir sa propre vérité.