Considérons un corps $K$ algébriquement clos (comme $\mathbb{C}$) et l’anneau des polynômes à $n$ variables $K[X_1, \dots, X_n]$.
- Côté Géométrique : Un ensemble algébrique (ou variété algébrique affine) $V$ est l’ensemble des points de $K^n$ qui annulent simultanément tous les polynômes d’un ensemble $S \subseteq K[X_1, \dots, X_n]$. $$ V(S) = \{ (a_1, \dots, a_n) \in K^n \mid \forall P \in S, P(a_1, \dots, a_n) = 0 \} $$
- Côté Algébrique : Un idéal $I$ de l’anneau $K[X_1, \dots, X_n]$ est un sous-ensemble stable par addition et par multiplication par n’importe quel polynôme de l’anneau. L’idéal engendré par un ensemble de polynômes $S$ est noté $\langle S \rangle$.
- Lien Inverse : À un ensemble de points $V \subseteq K^n$, on peut associer l’idéal $I(V)$ de tous les polynômes qui s’annulent sur chaque point de $V$.
La question fondamentale est : quelle est la relation exacte entre un idéal $I$ et l’idéal des polynômes s’annulant sur l’ensemble géométrique $V(I)$ ? Le Nullstellensatz répond à cette question.
Le théorème se présente sous deux formes, une « faible » et une « forte ».
Version Faible
Soit $K$ un corps algébriquement clos. Si $I$ est un idéal propre de $K[X_1, \dots, X_n]$ (c’est-à-dire $I \neq K[X_1, \dots, X_n]$), alors l’ensemble algébrique correspondant $V(I)$ n’est pas vide.
Autrement dit, si un ensemble de polynômes n’engendre pas une contradiction (comme l’idéal $\langle 1 \rangle$), alors il existe au moins un point commun où tous ces polynômes s’annulent.
Version Forte
Soit $K$ un corps algébriquement clos et $I$ un idéal de $K[X_1, \dots, X_n]$. Soit $I(V(I))$ l’idéal de tous les polynômes qui s’annulent sur l’ensemble algébrique $V(I)$. Alors, cet idéal est égal au radical de l’idéal de départ $I$. $$ I(V(I)) = \sqrt{I} $$ Le radical d’un idéal $I$, noté $\sqrt{I}$, est l’ensemble des polynômes $P$ dont une certaine puissance se trouve dans $I$ : $\sqrt{I} = \{ P \in K[X_1, \dots, X_n] \mid \exists k \ge 1, P^k \in I \}$.
Esquisse de la Démonstration
La démonstration de la version faible est déjà très technique et repose sur des résultats d’algèbre commutative comme le lemme de Zariski. La partie la plus ingénieuse est la manière dont on déduit la version forte de la version faible.
Passage de la Version Faible à la Version Forte (Astuce de Rabinowitsch)
- Inclusion évidente : Il est clair que $\sqrt{I} \subseteq I(V(I))$. En effet, si $P^k \in I$, alors $P^k$ s’annule sur tous les points de $V(I)$. Donc $P$ doit aussi s’annuler sur tous ces points, ce qui signifie que $P \in I(V(I))$.
- Inclusion inverse : C’est le cœur de l’astuce. Soit $f$ un polynôme dans $I(V(I))$. On veut montrer que $f \in \sqrt{I}$, c’est-à-dire qu’il existe $k$ tel que $f^k \in I$.
- Soit $I = \langle P_1, \dots, P_m \rangle$ l’idéal de départ. On introduit une nouvelle variable $Y$ et on considère le nouvel idéal $J$ dans l’anneau à $n+1$ variables $K[X_1, \dots, X_n, Y]$ : $$ J = \langle P_1, \dots, P_m, 1 – Yf \rangle $$
- Soit $(a_1, \dots, a_n, b)$ un point dans $K^{n+1}$. Si ce point est dans $V(J)$, alors tous les polynômes de $J$ doivent s’y annuler. En particulier, $P_1, \dots, P_m$ s’annulent, ce qui signifie que $(a_1, \dots, a_n) \in V(I)$. Mais comme $f \in I(V(I))$, on a $f(a_1, \dots, a_n)=0$. Le dernier polynôme de $J$ devient alors $1 – b \cdot f(a_1, \dots, a_n) = 1 – b \cdot 0 = 1$. Ce polynôme ne peut pas s’annuler.
- L’ensemble $V(J)$ est donc vide. D’après la version faible du Nullstellensatz, cela implique que l’idéal $J$ n’est pas propre, c’est-à-dire $J = K[X_1, \dots, X_n, Y]$.
- Par conséquent, le polynôme constant 1 appartient à $J$. Il existe donc des polynômes $Q_i$ et $R$ tels que : $$ 1 = \sum_{i=1}^m Q_i P_i + R(1-Yf) $$
- Cette égalité a lieu dans l’anneau $K[X_1, \dots, X_n, Y]$. On peut la voir comme une égalité entre fractions rationnelles en $Y$. En substituant formellement $Y = 1/f$, on obtient une égalité dans le corps des fractions de $K[X_1, \dots, X_n]$ : $$ 1 = \sum_{i=1}^m Q_i(X_1, \dots, X_n, 1/f) P_i(X_1, \dots, X_n) $$ En multipliant par une puissance suffisamment grande de $f$, disons $f^k$, pour chasser tous les dénominateurs, on obtient une expression de la forme $f^k = \sum_{i=1}^m S_i P_i$, où les $S_i$ sont des polynômes. Cette dernière expression montre que $f^k$ appartient à l’idéal $I$.
Implications
Le Nullstellensatz établit un dictionnaire entre l’algèbre et la géométrie. Il montre qu’il y a une correspondance biunivoque entre les ensembles algébriques (géométrie) et les idéaux radiciels (algèbre). C’est le point de départ de toute la géométrie algébrique moderne.