Théorème Spectral

Version Réelle (pour les Espaces Euclidiens)

Contexte

Soit $E$ un espace euclidien (un $\mathbb{R}$-espace vectoriel de dimension finie muni d’un produit scalaire) et $u$ un endomorphisme de $E$. On dit que $u$ est symétrique (ou autoadjoint) s’il est égal à son propre adjoint : $u^*=u$. Cela équivaut à dire que sa matrice dans n’importe quelle base orthonormale est une matrice symétrique.

Théorème Spectral (cas réel)

Soit $u$ un endomorphisme d’un espace euclidien $E$. Les propositions suivantes sont équivalentes :

  1. L’endomorphisme $u$ est symétrique ($u^*=u$).
  2. Il existe une base orthonormale de $E$ constituée de vecteurs propres de $u$.
  3. L’endomorphisme $u$ est diagonalisable dans une base orthonormale.

Esquisse de la Démonstration

La partie difficile est de montrer que (i) implique (ii). On procède par récurrence sur la dimension $n$ de l’espace $E$.

  1. Existence d’une valeur propre : On montre d’abord qu’un endomorphisme symétrique réel admet toujours au moins une valeur propre réelle. (Ceci est prouvé en considérant sa matrice comme une matrice complexe, qui est hermitienne et dont on sait que les valeurs propres sont réelles).
  2. Construction par récurrence : Soit $\lambda_1$ une valeur propre et $e_1$ un vecteur propre unitaire associé. On considère le sous-espace $F = Vect(e_1)$. Comme $u$ est symétrique, le supplémentaire orthogonal $F^\perp$ est stable par $u$.
  3. La restriction de $u$ à $F^\perp$ est encore un endomorphisme symétrique sur un espace de dimension $n-1$. Par hypothèse de récurrence, il existe une base orthonormale $(e_2, \dots, e_n)$ de $F^\perp$ formée de vecteurs propres de $u$.
  4. La famille $(e_1, e_2, \dots, e_n)$ est alors une base orthonormale de $E$ tout entier, et elle est constituée de vecteurs propres de $u$.

Version Complexe (pour les Espaces Hermitiens)

Contexte

Soit $E$ un espace hermitien (un $\mathbb{C}$-espace vectoriel de dimension finie muni d’un produit scalaire hermitien) et $u$ un endomorphisme de $E$. La condition de symétrie est remplacée par une condition plus générale. On dit que $u$ est normal s’il commute avec son adjoint : $u \circ u^* = u^* \circ u$.

Les endomorphismes hermitiens ($u^*=u$) et unitaires ($u^*u=Id$) sont des cas particuliers importants d’endomorphismes normaux.

Théorème Spectral (cas complexe)

Soit $u$ un endomorphisme d’un espace hermitien $E$. Les propositions suivantes sont équivalentes :

  1. L’endomorphisme $u$ est normal ($u \circ u^* = u^* \circ u$).
  2. Il existe une base orthonormale de $E$ constituée de vecteurs propres de $u$.
  3. L’endomorphisme $u$ est diagonalisable dans une base orthonormale.

Implications et Utilisation

  • Diagonalisation de matrices : En termes matriciels, le théorème spectral affirme que toute matrice réelle symétrique est diagonalisable par une matrice de passage orthogonale ($A = P D P^{-1} = P D {}^tP$), et que toute matrice complexe normale est diagonalisable par une matrice de passage unitaire ($A = U D U^{-1} = U D U^*$).
  • Géométrie : Le théorème est la clé de la classification des coniques et des quadriques. Il garantit qu’on peut toujours trouver un « bon » repère (une base orthonormale) dans lequel l’équation de la quadrique devient simple (sans termes rectangles), révélant sa nature géométrique (ellipsoïde, hyperboloïde, etc.).
  • Physique et Mécanique : En mécanique, le tenseur d’inertie d’un solide est une matrice symétrique. Le théorème spectral garantit l’existence d’axes principaux d’inertie, qui simplifient considérablement l’étude du mouvement de rotation. En mécanique quantique, les observables physiques sont représentées par des opérateurs hermitiens, et le théorème spectral assure que leurs valeurs mesurables (les valeurs propres) sont réelles et que les états correspondants (les vecteurs propres) sont orthogonaux.