Trigonalisation
Définition : Endomorphisme Trigonalisable

Soit $E$ un K-espace vectoriel de dimension finie $n$ et $u$ un endomorphisme de $E$. On dit que $u$ est trigonalisable (ou triangularisable) s’il existe une base de $E$ dans laquelle la matrice représentative de $u$ est une matrice triangulaire supérieure.

Remarque

Si un endomorphisme est représenté par une matrice triangulaire supérieure dans une base $(e_1, \dots, e_n)$, il est également possible de trouver une autre base, par exemple $(e_n, e_{n-1}, \dots, e_1)$, dans laquelle sa matrice sera triangulaire inférieure. Les deux propriétés sont donc équivalentes.

Théorème : Condition de Trigonalisabilité

Soit $u$ un endomorphisme d’un K-espace vectoriel $E$ de dimension finie. L’endomorphisme $u$ est trigonalisable si et seulement si son polynôme caractéristique $\chi_u$ est scindé sur le corps $K$.

Démonstration

($\implies$) Supposons que $u$ est trigonalisable. Il existe une base dans laquelle sa matrice $A$ est triangulaire supérieure. Le polynôme caractéristique $\chi_u(X) = \det(XI – A)$ est alors le déterminant d’une matrice triangulaire. Il est donc égal au produit de ses termes diagonaux : $$ \chi_u(X) = (X – a_{11})(X – a_{22}) \dots (X – a_{nn}) $$ Ce polynôme est bien un produit de facteurs du premier degré à coefficients dans $K$, il est donc scindé sur $K$.

($\impliedby$) Supposons que $\chi_u$ est scindé sur $K$. On procède par récurrence sur la dimension $n$ de $E$.

Initialisation (n=1) : Tout endomorphisme d’un espace de dimension 1 est une homothétie, sa matrice est diagonale (donc triangulaire) dans n’importe quelle base.

Hérédité : Supposons la propriété vraie pour tout espace de dimension $n-1$. Soit $u$ un endomorphisme de $E$ avec $\dim(E)=n$ et $\chi_u$ scindé. Puisque $\chi_u$ est scindé, $u$ admet au moins une valeur propre $\lambda_1 \in K$. Soit $e_1$ un vecteur propre associé. Complétons $e_1$ en une base $(e_1, e’_2, \dots, e’_n)$ de $E$. Dans cette base, la matrice de $u$ a la forme par blocs : $$ A = \begin{pmatrix} \lambda_1 & L \\ 0 & A’ \end{pmatrix} $$ où $A’$ est une matrice carrée d’ordre $n-1$. On a $\chi_u(X) = (X-\lambda_1)\chi_{A’}(X)$. Comme $\chi_u$ est scindé, $\chi_{A’}$ l’est aussi. $A’$ est la matrice d’un endomorphisme $u’$ sur l’espace quotient $E/Vect(e_1)$, qui est de dimension $n-1$. Par hypothèse de récurrence, $u’$ est trigonalisable. Il existe donc une base $(\bar{e}_2, \dots, \bar{e}_n)$ de $E/Vect(e_1)$ dans laquelle la matrice de $u’$ est triangulaire supérieure. En relevant cette base en une famille $(e_2, \dots, e_n)$ de $E$, on montre que la famille $(e_1, e_2, \dots, e_n)$ est une base de $E$ dans laquelle la matrice de $u$ est triangulaire supérieure.

Remarque

  1. Tout endomorphisme diagonalisable est trigonalisable.
  2. Sur un corps algébriquement clos comme $\mathbb{C}$, tout polynôme est scindé. Par conséquent, tout endomorphisme d’un $\mathbb{C}$-espace vectoriel de dimension finie est trigonalisable.
  3. Si $u$ est trigonalisable, les éléments diagonaux de sa matrice triangulaire sont précisément les valeurs propres de $u$, répétées avec leur multiplicité algébrique.
  4. Une conséquence directe est que la trace et le déterminant d’un endomorphisme trigonalisable sont respectivement la somme et le produit de ses valeurs propres (comptées avec leur multiplicité).
Proposition : Coefficients du Polynôme Caractéristique

Soit $u$ un endomorphisme d’un $\mathbb{K}$-espace vectoriel $E$ ($\mathbb{K}=\mathbb{R}$ ou $\mathbb{C}$) de dimension $n$. Si $\chi_u(X) = X^n + a_{n-1}X^{n-1} + \dots + a_0$, alors :

  • $tr(u) = -a_{n-1}$
  • $\det(u) = (-1)^n a_0$

Démonstration

Si $\mathbb{K}=\mathbb{C}$, le polynôme caractéristique est scindé. Soient $\lambda_1, \dots, \lambda_n$ les valeurs propres (non nécessairement distinctes). On a $\chi_u(X) = \prod_{i=1}^n (X-\lambda_i)$. En développant ce produit, le coefficient de $X^{n-1}$ est $-\sum \lambda_i = -tr(u)$, et le terme constant est $\prod (-\lambda_i) = (-1)^n \prod \lambda_i = (-1)^n \det(u)$. Par identification des coefficients, on obtient les formules.

Si $\mathbb{K}=\mathbb{R}$, on peut considérer la matrice réelle de $u$ comme une matrice complexe. Son polynôme caractéristique est le même, et ses trace et déterminant sont les mêmes. Le résultat obtenu sur $\mathbb{C}$ s’applique donc également.