Utiliser la Méthode de Gauss pour Trouver une Base Orthogonale
Quand on parle de « base orthogonale », on pense immédiatement au procédé de Gram-Schmidt. Cependant, il existe une autre approche puissante qui vient de l’étude des formes quadratiques : la réduction de Gauss. Cette méthode ne part pas d’un produit scalaire, mais d’une forme quadratique $q$, et permet de construire une base qui est orthogonale pour la forme polaire $\phi$ associée à $q$.
L’idée est de voir la réduction de Gauss comme un changement de coordonnées qui simplifie l’expression de la forme quadratique.
- Réduire la forme quadratique : On applique l’algorithme de Gauss à $q(x_1, \dots, x_n)$ pour l’écrire comme une somme de carrés de formes linéaires indépendantes :
$q(X) = \alpha_1 L_1(X)^2 + \alpha_2 L_2(X)^2 + \dots + \alpha_n L_n(X)^2$. - Identifier la matrice de changement de coordonnées : On pose $X’ = (L_1(X), \dots, L_n(X))^T$. La relation est de la forme $X’ = QX$, où $Q$ est la matrice dont les lignes sont les coefficients des formes linéaires $L_i$.
- Inverser la matrice : On calcule la matrice de passage $P=Q^{-1}$. Cette matrice fait le chemin inverse : elle exprime les anciennes coordonnées en fonction des nouvelles ($X=PX’$).
- Extraire la base orthogonale : Les colonnes de la matrice de passage $P$ sont les vecteurs de la nouvelle base $(v_1, \dots, v_n)$. Cette base est orthogonale pour la forme polaire $\phi$ de $q$.
Exemple 1 : Forme quadratique sur $\mathbb{R}^2$
Soit $q(x,y) = x^2 + 2xy + 2y^2$.
1. Réduction de Gauss :
$q(x,y) = (x^2+2xy) + 2y^2 = (x+y)^2 – y^2 + 2y^2 = (x+y)^2 + y^2$.
Les formes linéaires sont $L_1(x,y)=x+y$ et $L_2(x,y)=y$.
2. Matrice de changement de coordonnées :
$Q = \begin{pmatrix} 1 & 1 \\ 0 & 1 \end{pmatrix}$.
3. Matrice de passage :
$P = Q^{-1} = \begin{pmatrix} 1 & -1 \\ 0 & 1 \end{pmatrix}$.
4. Base orthogonale :
Les colonnes de $P$ nous donnent la base $\mathcal{B}’=(v_1, v_2)$ avec $v_1=(1,0)$ et $v_2=(-1,1)$.
Vérifions : la forme polaire est $\phi((x_1,y_1),(x_2,y_2)) = x_1x_2 + (x_1y_2+x_2y_1) + 2y_1y_2$.
$\phi(v_1,v_2) = 1(-1) + (1(1)+(-1)(0)) + 2(0)(1) = -1 + 1 + 0 = 0$. La base est bien orthogonale pour $\phi$.
Exemple 2 : Forme quadratique sur $\mathbb{R}^3$
Soit $q(x,y,z) = x^2 – 2y^2 + xz + 4yz$.
1. Réduction de Gauss :
$q(X) = (x^2+xz) -2y^2 + 4yz = (x+\frac{1}{2}z)^2 – \frac{1}{4}z^2 – 2y^2 + 4yz$.
$= (x+\frac{1}{2}z)^2 – 2(y^2 – 2yz) – \frac{1}{4}z^2 = (x+\frac{1}{2}z)^2 – 2((y-z)^2 – z^2) – \frac{1}{4}z^2$.
$= (x+\frac{1}{2}z)^2 – 2(y-z)^2 + 2z^2 – \frac{1}{4}z^2 = (x+\frac{1}{2}z)^2 – 2(y-z)^2 + \frac{7}{4}z^2$.
Les formes linéaires sont $L_1=x+\frac{1}{2}z$, $L_2=y-z$, $L_3=z$.
2. Matrice $Q$ : $Q = \begin{pmatrix} 1 & 0 & 1/2 \\ 0 & 1 & -1 \\ 0 & 0 & 1 \end{pmatrix}$.
3. Matrice $P=Q^{-1}$ :
On calcule l’inverse et on trouve $P = \begin{pmatrix} 1 & 0 & -1/2 \\ 0 & 1 & 1 \\ 0 & 0 & 1 \end{pmatrix}$.
4. Base orthogonale :
$\mathcal{B}’ = ( (1,0,0), (0,1,0), (-1/2, 1, 1) )$.
Exemple 3 : Le cas sans termes carrés
Soit $q(x,y) = 4xy$.
1. Réduction de Gauss :
$q(x,y) = (x+y)^2 – (x-y)^2$.
Les formes linéaires sont $L_1=x+y$ et $L_2=x-y$.
2. Matrice $Q$ : $Q = \begin{pmatrix} 1 & 1 \\ 1 & -1 \end{pmatrix}$.
3. Matrice $P=Q^{-1}$ : $P = \frac{1}{-2}\begin{pmatrix} -1 & -1 \\ -1 & 1 \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} 1/2 & 1/2 \\ 1/2 & -1/2 \end{pmatrix}$.
4. Base orthogonale : $\mathcal{B}’ = ( (1/2, 1/2), (1/2, -1/2) )$.