Comment écrire la matrice d’une application linéaire dans des bases données

Une application linéaire transforme des vecteurs d’un espace de départ vers un espace d’arrivée. Pour la représenter numériquement et effectuer des calculs, on utilise une matrice. Cette matrice dépend crucialement des bases choisies dans les espaces de départ et d’arrivée. Savoir construire cette matrice est une compétence fondamentale en algèbre linéaire.

Méthode : La Construction Colonne par Colonne

Soit $f: E \to F$ une application linéaire, avec $E$ et $F$ des espaces vectoriels de dimensions finies. Soit $\mathcal{B} = (e_1, e_2, \dots, e_n)$ une base de $E$ et $\mathcal{C} = (v_1, v_2, \dots, v_p)$ une base de $F$.

La matrice de $f$ relative aux bases $\mathcal{B}$ et $\mathcal{C}$, notée $M_{\mathcal{B},\mathcal{C}}(f)$, est construite en suivant ces étapes :

  1. Calculer l’image des vecteurs de la base de départ : Pour chaque vecteur $e_j$ de la base $\mathcal{B}$, calculez son image $f(e_j)$.
  2. Décomposer ces images dans la base d’arrivée : Pour chaque image $f(e_j)$, trouvez ses coordonnées dans la base $\mathcal{C}$. C’est-à-dire, trouvez les scalaires $a_{ij}$ tels que :
    $f(e_j) = a_{1j}v_1 + a_{2j}v_2 + \dots + a_{pj}v_p$.
  3. Remplir la matrice colonne par colonne : La $j$-ème colonne de la matrice $M_{\mathcal{B},\mathcal{C}}(f)$ est constituée des coordonnées de $f(e_j)$ dans la base $\mathcal{C}$. $$ M_{\mathcal{B},\mathcal{C}}(f) = \begin{pmatrix} \vert & \vert & & \vert \\ \text{Coord de } f(e_1) & \text{Coord de } f(e_2) & \cdots & \text{Coord de } f(e_n) \\ \text{dans } \mathcal{C} & \text{dans } \mathcal{C} & & \text{dans } \mathcal{C} \\ \vert & \vert & & \vert \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} a_{11} & a_{12} & \cdots & a_{1n} \\ a_{21} & a_{22} & \cdots & a_{2n} \\ \vdots & \vdots & \ddots & \vdots \\ a_{p1} & a_{p2} & \cdots & a_{pn} \end{pmatrix} $$
Construction de la matrice d’une application linéaire Espace E Base $\mathcal{B}=(e_1, e_2)$ $e_1$ $e_2$ f Espace F Base $\mathcal{C}=(v_1, v_2)$ $v_1$ $v_2$ $f(e_1)$ $f(e_2)$ Col 1: Coords de $f(e_1)$ Col 2: Coords de $f(e_2)$ $\begin{pmatrix} a & b \\ c & d \end{pmatrix}$

Exemple Concret : De $\mathbb{R}^2$ dans $\mathbb{R}^2$

Soit l’application linéaire $f(x, y) = (2x – y, x + y)$. On choisit la base de départ $\mathcal{B} = (e_1, e_2)$ avec $e_1=(1, 1)$ et $e_2=(1, 0)$. On choisit la base d’arrivée $\mathcal{C}$ comme étant la base canonique de $\mathbb{R}^2$, soit $v_1=(1, 0)$ et $v_2=(0, 1)$. Trouvons $M_{\mathcal{B},\mathcal{C}}(f)$.

1. Calcul de l’image de la base de départ :

  • $f(e_1) = f(1, 1) = (2(1) – 1, 1 + 1) = (1, 2)$.
  • $f(e_2) = f(1, 0) = (2(1) – 0, 1 + 0) = (2, 1)$.

2. Décomposition dans la base d’arrivée :

On exprime les vecteurs images dans la base canonique $\mathcal{C}$. C’est direct :

  • $f(e_1) = (1, 2) = 1 \cdot (1, 0) + 2 \cdot (0, 1) = 1v_1 + 2v_2$. Les coordonnées sont donc $\begin{pmatrix} 1 \\ 2 \end{pmatrix}$.
  • $f(e_2) = (2, 1) = 2 \cdot (1, 0) + 1 \cdot (0, 1) = 2v_1 + 1v_2$. Les coordonnées sont donc $\begin{pmatrix} 2 \\ 1 \end{pmatrix}$.

3. Construction de la matrice :

La première colonne est formée des coordonnées de $f(e_1)$, la seconde de celles de $f(e_2)$.

$$ M_{\mathcal{B},\mathcal{C}}(f) = \begin{pmatrix} 1 & 2 \\ 2 & 1 \end{pmatrix} $$

Utiliser une matrice de passage pour un changement de base

La méthode précédente est simple car la base d’arrivée $\mathcal{C}$ était la base canonique. Que se passe-t-il si la base d’arrivée n’est pas canonique ? Trouver les coordonnées de tête peut devenir complexe. C’est là que la matrice de passage entre en jeu.

Soit $\mathcal{C}_{can}$ la base canonique de l’espace d’arrivée $F$. La matrice de passage de la base $\mathcal{C}$ à la base $\mathcal{C}_{can}$, notée $P_{\mathcal{C} \to \mathcal{C}_{can}}$, a pour colonnes les vecteurs de la base $\mathcal{C}$ exprimés dans la base $\mathcal{C}_{can}$.

Pour trouver les coordonnées d’un vecteur $u \in F$ (dont on connaît l’expression $X$ dans la base canonique) dans la base $\mathcal{C}$, on utilise la relation : $$ [u]_{\mathcal{C}} = (P_{\mathcal{C} \to \mathcal{C}_{can}})^{-1} [u]_{\mathcal{C}_{can}} $$ Il faut donc inverser la matrice de passage.

Exemple (suite) :

Gardons la même application $f(x, y) = (2x – y, x + y)$ et la même base de départ $\mathcal{B} = ((1, 1), (1, 0))$. Mais choisissons une nouvelle base d’arrivée $\mathcal{C}’ = (v_1, v_2)$ avec $v_1=(1, 2)$ et $v_2=(0, 1)$.

1. Images des vecteurs de $\mathcal{B}$ (dans la base canonique) :

Ce calcul ne change pas : $f(e_1) = (1, 2)$ et $f(e_2) = (2, 1)$.

2. Construire et inverser la matrice de passage :

La matrice de passage de $\mathcal{C}’$ à la base canonique est simple à écrire. Ses colonnes sont les vecteurs $v_1$ et $v_2$: $$ P = P_{\mathcal{C}’ \to \mathcal{C}_{can}} = \begin{pmatrix} 1 & 0 \\ 2 & 1 \end{pmatrix} $$ On calcule son inverse : $$ P^{-1} = \frac{1}{1 \cdot 1 – 0 \cdot 2} \begin{pmatrix} 1 & 0 \\ -2 & 1 \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} 1 & 0 \\ -2 & 1 \end{pmatrix} $$

3. Calculer les coordonnées dans la nouvelle base $\mathcal{C}’$ :

  • Pour $f(e_1) = (1, 2)$: Coords dans $\mathcal{C}’$ = $P^{-1} \begin{pmatrix} 1 \\ 2 \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} 1 & 0 \\ -2 & 1 \end{pmatrix} \begin{pmatrix} 1 \\ 2 \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} 1 \\ 0 \end{pmatrix}$.
  • Pour $f(e_2) = (2, 1)$: Coords dans $\mathcal{C}’$ = $P^{-1} \begin{pmatrix} 2 \\ 1 \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} 1 & 0 \\ -2 & 1 \end{pmatrix} \begin{pmatrix} 2 \\ 1 \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} 2 \\ -3 \end{pmatrix}$.

4. Construction de la matrice finale :

On place ces nouvelles coordonnées en colonnes :

$$ M_{\mathcal{B},\mathcal{C}’}(f) = \begin{pmatrix} 1 & 2 \\ 0 & -3 \end{pmatrix} $$
Points Clés à Retenir
  • L’ordre compte : L’ordre des vecteurs dans les bases de départ et d’arrivée est crucial. Changer l’ordre de deux vecteurs dans une base revient à permuter les colonnes (base de départ) ou les lignes (base d’arrivée) correspondantes dans la matrice.
  • La matrice de $f$ n’est pas unique : Elle dépend des bases choisies. Changer de base change la matrice, même si l’application linéaire reste la même.
  • Dimension de la matrice : Si $\dim(E) = n$ et $\dim(F) = p$, alors la matrice $M_{\mathcal{B},\mathcal{C}}(f)$ est de taille $p \times n$ (p lignes, n colonnes).