Introduction : Comment les Groupes Agissent
La théorie des groupes étudie les structures algébriques abstraites appelées groupes. Cependant, la véritable puissance de cette théorie se révèle lorsque l’on observe comment ces groupes « agissent » sur d’autres objets mathématiques. Une action de groupe est une formalisation de l’idée de symétrie. Elle décrit comment chaque élément d’un groupe peut être interprété comme une transformation (une permutation, une rotation, une réflexion, etc.) d’un ensemble donné, tout en respectant la structure du groupe.
L’étude des actions de groupe est un outil fondamental qui transforme un groupe abstrait en un groupe de transformations concrètes. Cette approche permet de « visualiser » le groupe et de déduire ses propriétés en analysant ses effets sur l’ensemble. Des théorèmes majeurs comme les théorèmes de Sylow, le lemme de Burnside ou même le théorème de Cayley découlent directement de cette notion.
Soit $(G, \cdot)$ un groupe et $X$ un ensemble non vide. Une action (à gauche) de $G$ sur $X$ est une application : $$ \begin{array}{rcl} \Phi : G \times X & \to & X \\ (g, x) & \mapsto & g \star x \end{array} $$ qui vérifie les deux axiomes suivants :
- Axiome d’identité : Pour tout $x \in X$, on a $e \star x = x$, où $e$ est l’élément neutre de $G$. (L’élément neutre agit comme l’identité).
- Axiome de compatibilité : Pour tous $g, h \in G$ et pour tout $x \in X$, on a $(g \cdot h) \star x = g \star (h \star x)$. (L’action de la composition est la composition des actions).
Lorsque $G$ agit sur $X$, on dit que $X$ est un $G$-ensemble.
Une action du groupe $G$ sur l’ensemble $X$ est équivalente à la donnée d’un homomorphisme de groupes de $G$ vers le groupe symétrique de $X$, noté $\mathcal{S}(X)$ (le groupe de toutes les bijections de $X$ dans lui-même). $$ \rho : G \to \mathcal{S}(X) $$
Le lien entre les deux définitions est le suivant : à chaque élément $g \in G$, on associe la permutation $\rho(g) : X \to X$ définie par $\rho(g)(x) = g \star x$. L’axiome de compatibilité assure que $\rho$ est bien un homomorphisme ($\rho(gh) = \rho(g) \circ \rho(h)$), et l’axiome d’identité assure que l’élément neutre est envoyé sur la permutation identité.
Concepts Fondamentaux : Orbites et Stabilisateurs
Lorsqu’un groupe agit sur un ensemble, deux notions émergent naturellement pour décrire la structure de cette action : l’orbite d’un élément (où peut-il aller ?) et son stabilisateur (qui le laisse sur place ?).
- L’orbite d’un élément $x \in X$ sous l’action de $G$ est l’ensemble de tous les points de $X$ que $x$ peut atteindre par l’action d’un élément de $G$. On la note $\text{Orb}_G(x)$ : $$ \text{Orb}_G(x) = \{ g \star x \mid g \in G \} \subseteq X $$ Les orbites forment une partition de l’ensemble $X$. Si une action n’a qu’une seule orbite (qui est $X$ tout entier), l’action est dite transitive.
- Le stabilisateur d’un élément $x \in X$ est l’ensemble de tous les éléments de $G$ qui laissent $x$ fixe. On le note $\text{Stab}_G(x)$ : $$ \text{Stab}_G(x) = \{ g \in G \mid g \star x = x \} \subseteq G $$ Le stabilisateur d’un élément est toujours un sous-groupe de $G$.
Soit $G$ un groupe fini agissant sur un ensemble $X$. Pour tout élément $x \in X$, il existe une relation fondamentale entre la taille de son orbite et la taille de son stabilisateur : $$ |G| = |\text{Orb}_G(x)| \times |\text{Stab}_G(x)| $$ Ce théorème est l’un des outils de comptage les plus puissants de la théorie des groupes. Il implique notamment que la taille de chaque orbite divise l’ordre du groupe.
Exemples Classiques d’Actions de Groupe
- Action triviale : Tout groupe $G$ peut agir trivialement sur n’importe quel ensemble $X$ en posant $g \star x = x$ pour tous $g,x$. Ici, chaque orbite est un singleton ($\text{Orb}(x) = \{x\}$) et chaque stabilisateur est le groupe entier ($\text{Stab}(x)=G$).
- Action régulière : Un groupe $G$ agit sur lui-même ($X=G$) par multiplication à gauche : $g \star h = g \cdot h$. Cette action est transitive (une seule orbite, $G$) et fidèle (chaque stabilisateur est trivial, $\text{Stab}(h) = \{e\}$). C’est la base du théorème de Cayley, qui stipule que tout groupe fini est isomorphe à un sous-groupe d’un groupe symétrique.
- Action par conjugaison : Un groupe $G$ agit sur lui-même ($X=G$) par conjugaison : $g \star x = gxg^{-1}$. Les orbites de cette action sont les classes de conjugaison. Le stabilisateur d’un élément $x$ est son centralisateur, $C_G(x)$. L’équation aux classes est une application directe du théorème Orbite-Stabilisateur à cette action.
- Action géométrique : Le groupe diédral $D_4$ (groupe des isométries du carré, d’ordre 8) agit sur l’ensemble des sommets du carré $X = \{1, 2, 3, 4\}$.
- L’action est transitive : l’orbite d’un sommet, par exemple 1, est l’ensemble de tous les sommets : $\text{Orb}(1)=\{1,2,3,4\}$. Donc $|\text{Orb}(1)|=4$.
- Le stabilisateur du sommet 1 est le sous-groupe des isométries qui fixent le sommet 1. Il n’y en a que deux : l’identité et la réflexion par rapport à la diagonale passant par 1 et 3. Donc $|\text{Stab}(1)|=2$.
- Vérification du théorème : $|\text{Orb}(1)| \times |\text{Stab}(1)| = 4 \times 2 = 8 = |D_4|$.
Conclusion
La notion d’action de groupe est un concept unificateur en algèbre. Elle permet d’appliquer les outils de la théorie des groupes à des problèmes de géométrie (groupes d’isométries), de combinatoire (dénombrement de configurations), d’algèbre elle-même (théorèmes de Sylow) et dans bien d’autres domaines. Comprendre comment un groupe agit, c’est comprendre sa nature profonde en tant que collection de symétries.
