Pour comprendre ce théorème, il faut définir la structure centrale qu’il classifie.
Une C*-algèbre (prononcer « C étoile algèbre ») est une structure qui combine l’algèbre et l’analyse. C’est une algèbre de Banach $A$ sur le corps des nombres complexes, munie d’une opération supplémentaire appelée involution (notée $x \mapsto x^*$) qui généralise la conjugaison complexe. Cette structure doit satisfaire la C*-identité : $$ \|x^*x\| = \|x\|^2 \quad \text{pour tout } x \in A $$
- Exemple commutatif : L’ensemble $C(X)$ des fonctions continues sur un espace topologique compact $X$, muni de la norme du supremum, de la conjugaison complexe comme involution, est une C*-algèbre commutative.
- Exemple non commutatif : L’ensemble $\mathcal{B}(H)$ des opérateurs linéaires bornés sur un espace de Hilbert $H$, muni de la norme d’opérateur et de l’opérateur adjoint comme involution, est une C*-algèbre non commutative.
Version 1 : Théorème de Gelfand-Naimark pour les C*-algèbres Commutatives
Toute C*-algèbre commutative unitaire $A$ est isométriquement *-isomorphe à l’algèbre $C(X)$ des fonctions continues sur un certain espace topologique compact $X$.
L’espace $X$ est l’espace des caractères de $A$ (l’ensemble des homomorphismes non nuls de $A$ dans $\mathbb{C}$), muni de la topologie faible-*.
Esquisse de la Démonstration
- La transformée de Gelfand : On construit une application $\mathcal{G}: A \to C(X)$, appelée la transformée de Gelfand. Pour chaque élément $a \in A$, on lui associe une fonction $\hat{a}$ sur l’espace des caractères $X$ définie par $\hat{a}(\chi) = \chi(a)$.
- Propriétés de la transformée : On montre que cette application est un homomorphisme d’algèbres qui préserve l’involution (*-homomorphisme).
- Isométrie : L’étape la plus difficile est de montrer que cette application préserve la norme, c’est-à-dire $\|\hat{a}\|_\infty = \|a\|$. C’est ici que la C*-identité est cruciale. On montre que le rayon spectral d’un élément normal est égal à sa norme, et on relie le spectre d’un élément à l’image de sa transformée de Gelfand.
Ce théorème révèle que, abstraitement, il n’existe qu’un seul type de C*-algèbre commutative : les algèbres de fonctions continues sur un espace compact.
Version 2 : Théorème de Gelfand-Naimark-Segal (GNS) pour les C*-algèbres Générales
Toute C*-algèbre $A$ est isométriquement *-isomorphe à une sous-algèbre normiquement fermée de l’algèbre $\mathcal{B}(H)$ des opérateurs bornés sur un certain espace de Hilbert $H$.
Esquisse de la Démonstration
La démonstration est une construction explicite, appelée construction GNS (Gelfand-Naimark-Segal).
- États : On commence par montrer l’existence d’objets appelés « états », qui sont des formes linéaires positives de norme 1 sur l’algèbre.
- Construction d’un espace préhilbertien : Pour un état $\varphi$ donné, on construit un espace préhilbertien. L’idée est de définir un produit scalaire sur l’algèbre $A$ elle-même par $\langle x, y \rangle_\varphi = \varphi(x^*y)$.
- Passage au quotient et complétion : Ce « produit scalaire » peut être dégénéré. On quotiente par le noyau et on complète l’espace pour obtenir un véritable espace de Hilbert, noté $H_\varphi$.
- Définition de la représentation : On définit alors un homomorphisme $\pi_\varphi: A \to \mathcal{B}(H_\varphi)$ qui envoie un élément $a \in A$ sur l’opérateur de « multiplication à gauche par a » sur l’espace de Hilbert. On montre que c’est une représentation (*-homomorphisme) de l’algèbre.
- Somme directe : On prend la somme directe de toutes les représentations obtenues pour tous les états possibles. Cette « représentation universelle » est injective et on montre qu’elle est également isométrique.
Implications et Utilisation
- Fondement de la Physique Quantique : Le théorème GNS est le fondement mathématique de la mécanique quantique. Il justifie que les observables physiques (qui forment une C*-algèbre abstraite) peuvent toujours être représentées par des opérateurs hermitiens sur un espace de Hilbert (l’espace des états du système).
- Analyse Harmonique : Il généralise des résultats de l’analyse de Fourier, en montrant que des structures algébriques abstraites peuvent être étudiées à travers leurs représentations sur des espaces de Hilbert.
