Introduction : La Simplicité au Cœur de la Structure
En théorie des anneaux, on étudie des structures algébriques munies de deux opérations, l’addition et la multiplication. L’un des concepts les plus importants pour comprendre la structure d’un anneau est celui d’idéal. Un idéal est un sous-ensemble stable par addition et par multiplication par n’importe quel élément de l’anneau. Il généralise la notion de « multiple de n » dans l’anneau des entiers $\mathbb{Z}$.
Certains idéaux peuvent être décrits de manière très simple : ils sont entièrement constitués des multiples d’un seul élément. On les appelle des idéaux principaux. Un anneau où tous les idéaux sont de ce type est dit « principal ». Ces anneaux sont particulièrement intéressants car leur structure d’idéaux est la plus simple possible. Cette simplicité a des conséquences profondes, notamment sur la factorisation de leurs éléments, et fait des anneaux principaux un pilier de l’arithmétique et de l’algèbre.
Soit $A$ un anneau intègre et commutatif.
- Un idéal $I$ de $A$ est dit principal s’il existe un élément $a \in A$ tel que $I$ est l’ensemble de tous les multiples de $a$. On note alors $I = (a) = \{ax \mid x \in A\}$.
- L’anneau $A$ est dit principal si tous ses idéaux sont principaux.
Autrement dit, un anneau intègre $A$ est principal si, pour tout idéal $I$ de $A$, il existe un élément $a \in A$ tel que $I=(a)$.
Note : La condition que l’anneau soit intègre (c’est-à-dire que si $xy=0$, alors $x=0$ ou $y=0$) est incluse dans la définition standard d’un anneau principal.
Exemples Fondamentaux et Contre-Exemples
Pour bien saisir le concept, il est essentiel d’étudier des cas concrets.
Exemple 1 : L’anneau $\mathbb{Z}$ des entiers relatifs
L’anneau $\mathbb{Z}$ est l’archétype de l’anneau principal. Soit $I$ un idéal de $\mathbb{Z}$.
- Si $I = \{0\}$, alors $I=(0)$, qui est principal.
- Si $I \neq \{0\}$, alors $I$ contient des entiers non nuls. Soit $n$ le plus petit entier strictement positif dans $I$. On peut montrer que $I$ est précisément l’ensemble des multiples de $n$. En effet, soit $m \in I$. La division euclidienne de $m$ par $n$ donne $m = qn + r$ avec $0 \le r < n$. Comme $m \in I$ et $qn \in I$, on a $r = m-qn \in I$. Mais $n$ est le plus petit entier strictement positif dans $I$ et $r < n$. La seule possibilité est donc que $r=0$. Ainsi, $m=qn$ et $m$ est un multiple de $n$.
Cela prouve que tout idéal de $\mathbb{Z}$ est de la forme $(n)$ pour un certain $n \in \mathbb{Z}$. Donc, $\mathbb{Z}$ est un anneau principal.
Exemple 2 : L’anneau des polynômes $K[X]$ sur un corps $K$
De manière très similaire à $\mathbb{Z}$, l’anneau des polynômes à une indéterminée et à coefficients dans un corps $K$ (comme $\mathbb{Q}$, $\mathbb{R}$ ou $\mathbb{C}$) est principal. La preuve repose, comme pour $\mathbb{Z}$, sur l’existence d’une division euclidienne.
Soit $I$ un idéal de $K[X]$. Si $I \neq \{0\}$, on peut choisir un polynôme $P(X)$ non nul dans $I$ de degré minimal. En utilisant la division euclidienne, on montre que tout autre polynôme de $I$ est un multiple de $P(X)$. Par conséquent, $I=(P)$, et $K[X]$ est un anneau principal.
Contre-Exemple 1 : L’anneau $\mathbb{Z}[X]$
L’anneau des polynômes à coefficients entiers, $\mathbb{Z}[X]$, n’est pas principal. Pour le prouver, il suffit d’exhiber un seul idéal qui n’est pas engendré par un seul polynôme.
Considérons l’idéal $I = (2, X)$. C’est l’ensemble des polynômes de la forme $2P(X) + XQ(X)$, où $P, Q \in \mathbb{Z}[X]$. Autrement dit, $I$ est l’ensemble des polynômes dont le terme constant est un entier pair.
Supposons par l’absurde que $I$ est principal, c’est-à-dire $I = (D(X))$ pour un certain polynôme $D(X) \in \mathbb{Z}[X]$.
- Comme $2 \in I$, $D(X)$ doit diviser 2. Donc $D(X)$ est un polynôme constant, soit $D(X)=\pm 1$ ou $D(X)=\pm 2$.
- Comme $X \in I$, $D(X)$ doit diviser $X$.
Si $D(X) = \pm 2$, il ne divise pas $X$ dans $\mathbb{Z}[X]$. Si $D(X) = \pm 1$, alors $I$ serait $\mathbb{Z}[X]$ tout entier. Mais ce n’est pas le cas, car le polynôme constant 1 n’est pas dans $I$ (son terme constant, 1, n’est pas pair).
On arrive à une contradiction. L’idéal $(2, X)$ n’est donc pas principal, et $\mathbb{Z}[X]$ n’est pas un anneau principal.
Contre-Exemple 2 : L’anneau $K[X, Y]$
De même, l’anneau des polynômes à deux indéterminées (ou plus) n’est jamais principal. Considérons l’idéal $I = (X, Y)$ dans $K[X, Y]$. C’est l’ensemble des polynômes sans terme constant. Si cet idéal était principal, engendré par $P(X, Y)$, alors $P$ devrait diviser $X$ et $Y$. Le seul polynôme ayant cette propriété est une constante non nulle. Mais si $P$ est une constante, alors $I$ serait l’anneau entier, ce qui est faux.
Propriétés Fondamentales des Anneaux Principaux
La simplicité de la structure des idéaux confère aux anneaux principaux des propriétés arithmétiques très fortes.
- Factorisation Unique : Tout anneau principal est factoriel (ou à factorisation unique). Cela signifie que tout élément non nul et non inversible peut s’écrire de manière unique (à l’ordre et aux inversibles près) comme un produit d’éléments irréductibles. C’est la généralisation directe du théorème fondamental de l’arithmétique pour $\mathbb{Z}$.
- Identité de Bézout : Si $A$ est principal, alors pour tous $a, b \in A$, il existe un PGCD $d$, et il existe $u, v \in A$ tels que $au+bv=d$. En effet, l’idéal $(a, b)$ est principal, donc égal à $(d)$ pour un certain $d$, qui se révèle être le PGCD.
- Primalité et Maximalité : Dans un anneau principal, un idéal non nul $(p)$ est premier si et seulement s’il est maximal. Cela équivaut à dire que l’élément $p$ est irréductible.
- Noethérianité : Tout anneau principal est noethérien. Cela signifie que toute suite croissante d’idéaux est stationnaire. Cette propriété garantit l’existence de la décomposition en facteurs irréductibles.
En résumé, les anneaux principaux capturent les propriétés arithmétiques les plus importantes de $\mathbb{Z}$ et de $K[X]$, et fournissent un cadre idéal pour l’étude de la divisibilité et de la factorisation.