Théorème : Tout Anneau Euclidien est Principal

Introduction : De l’Algorithme à la Structure

En algèbre, on établit souvent une hiérarchie entre les différentes structures d’anneaux. Les anneaux factoriels permettent une décomposition unique, les anneaux principaux ont une structure d’idéaux très simple, et les anneaux euclidiens sont ceux qui possèdent une division euclidienne. Ce dernier critère est le plus fort de tous.

Le théorème « tout anneau euclidien est principal » est un résultat central qui établit un pont direct entre une propriété algorithmique (la division) et une propriété structurelle profonde (la nature des idéaux). Il explique pourquoi nos exemples favoris, $\mathbb{Z}$ et $K[X]$, qui sont euclidiens, sont aussi principaux. La preuve de ce théorème est un modèle d’élégance et illustre parfaitement comment l’existence d’un « plus petit » élément dans un idéal, mesuré par le stathme, force cet élément à être le générateur de l’idéal tout entier.

Énoncé du Théorème

Soit $A$ un anneau euclidien. Alors $A$ est un anneau principal.

Démonstration Détaillée

La preuve repose entièrement sur la définition d’un anneau euclidien et sur le principe de bon ordre de l’ensemble des entiers naturels $\mathbb{N}$.

  1. Prérequis :

    Soit $A$ un anneau euclidien. Par définition, $A$ est un anneau intègre et il existe une fonction (le stathme) $v: A \setminus \{0\} \to \mathbb{N}$ telle que pour tout $a \in A$ et tout $b \in A \setminus \{0\}$, il existe un quotient $q$ et un reste $r$ dans $A$ vérifiant : $$ a = bq + r \quad \text{avec} \quad r=0 \text{ ou } v(r) < v(b) $$ Nous devons montrer que $A$ est principal, c'est-à-dire que n'importe quel idéal $I$ de $A$ peut être engendré par un seul élément.

  2. Considérer un idéal quelconque :

    Soit $I$ un idéal de $A$. Deux cas se présentent.

    • Cas 1 : L’idéal trivial. Si $I = \{0\}$, alors $I$ est l’idéal nul. Il est engendré par l’élément $0$, donc $I=(0)$. Dans ce cas, $I$ est bien principal.
    • Cas 2 : Un idéal non trivial. Supposons que $I \neq \{0\}$. L’idéal contient donc au moins un élément non nul.
  3. Utiliser le stathme pour trouver un « plus petit » élément :

    Considérons l’ensemble $S$ des valeurs prises par le stathme $v$ sur tous les éléments non nuls de $I$ : $$ S = \{ v(x) \mid x \in I, x \neq 0 \} $$ Puisque $I$ est non trivial, cet ensemble $S$ est une partie non vide de $\mathbb{N}$. D’après le principe de bon ordre, toute partie non vide de $\mathbb{N}$ admet un plus petit élément. Soit $m$ ce minimum.

    Par définition de $m$, il existe au moins un élément dans $I$ dont le stathme est égal à $m$. Choisissons un tel élément et appelons-le $b$. On a donc : $$ b \in I, b \neq 0, \text{ et } v(b) = m = \min\{v(x) \mid x \in I, x \neq 0 \} $$ Cet élément $b$ est, en un sens, un « plus petit » élément non nul de l’idéal $I$.

  4. Montrer que ce plus petit élément engendre l’idéal :

    Nous allons maintenant prouver que $I = (b)$. Pour cela, nous devons montrer une double inclusion.

    Première inclusion : $(b) \subseteq I$

    Soit $y$ un élément quelconque de l’idéal $(b)$. Par définition, $y$ est un multiple de $b$, donc il existe $x \in A$ tel que $y = bx$. Comme $b \in I$ et que $I$ est un idéal, tout multiple de $b$ par un élément de $A$ est encore dans $I$. Donc, $y = bx \in I$. Ceci prouve que $(b) \subseteq I$. Cette partie est toujours vraie par définition d’un idéal.

    Seconde inclusion : $I \subseteq (b)$

    C’est le cœur de la démonstration. Soit $a$ un élément quelconque de $I$. Nous voulons montrer que $a$ est un multiple de $b$.
    Puisque $A$ est un anneau euclidien et que $b \neq 0$, nous pouvons effectuer la division euclidienne de $a$ par $b$. Il existe donc $q, r \in A$ tels que : $$ a = bq + r \quad \text{avec} \quad r=0 \text{ ou } v(r) < v(b) $$ Réécrivons cette équation pour isoler le reste : $r = a - bq$.
    Analysons cet élément $r$ :

    • $a$ est dans $I$ (par hypothèse).
    • $b$ est dans $I$, donc $bq$ est aussi dans $I$ (car $I$ est un idéal).
    • Puisque $I$ est stable par soustraction, $r = a – bq$ est également un élément de $I$.

    Nous avons donc un élément $r \in I$. Rappelons-nous que $b$ a été choisi de sorte que $v(b)$ soit la valeur minimale du stathme pour tous les éléments non nuls de $I$.
    Or, la division euclidienne nous dit que soit $r=0$, soit $v(r) < v(b)$. Si $r$ était non nul, on aurait trouvé un élément $r \in I \setminus \{0\}$ avec un stathme $v(r)$ strictement plus petit que $v(b)$, ce qui contredit la minimalité de $v(b)$.
    La seule possibilité est donc que le reste soit nul : $r=0$.

    Si $r=0$, l’équation de division devient $a = bq$. Ceci signifie que $a$ est un multiple de $b$, et donc que $a \in (b)$. Comme $a$ était un élément arbitraire de $I$, nous avons prouvé que $I \subseteq (b)$.

  5. Conclusion :

    Ayant démontré que $(b) \subseteq I$ et $I \subseteq (b)$, nous pouvons conclure que $I = (b)$. Puisque $I$ était un idéal arbitraire de $A$, nous avons montré que tout idéal de $A$ est principal.
    L’anneau euclidien $A$ est donc un anneau principal.