Égalité des Dérivées Croisées
L’une des propriétés les plus remarquables et utiles du calcul différentiel à plusieurs variables est la possibilité, sous certaines conditions de régularité, d’intervertir l’ordre de dérivation. C’est-à-dire que dériver par rapport à $x$ puis $y$ donne le même résultat que dériver par rapport à $y$ puis $x$. Ce résultat est formalisé par le théorème de Schwarz.
1. Définition des Dérivées Croisées
Les dérivées partielles secondes mixtes sont aussi appelées dérivées croisées. Pour une fonction $f(x_1, \dots, x_p)$, les dérivées croisées impliquant les variables $x_i$ et $x_j$ (avec $i \neq j$) sont : $$ \frac{\partial^2 f}{\partial x_j \partial x_i} = \frac{\partial}{\partial x_j}\left(\frac{\partial f}{\partial x_i}\right) \quad \text{et} \quad \frac{\partial^2 f}{\partial x_i \partial x_j} = \frac{\partial}{\partial x_i}\left(\frac{\partial f}{\partial x_j}\right) $$
2. Le Théorème de Schwarz
Ce théorème fournit la condition suffisante qui garantit l’égalité de ces dérivées.
Soit $f: U \subset \mathbb{R}^p \to \mathbb{R}$ une fonction définie sur un ouvert $U$.
Si les dérivées partielles secondes $\frac{\partial^2 f}{\partial x_j \partial x_i}$ et $\frac{\partial^2 f}{\partial x_i \partial x_j}$ existent sur $U$ et sont continues en un point $a \in U$, alors elles sont égales en ce point :
$$ \frac{\partial^2 f}{\partial x_j \partial x_i}(a) = \frac{\partial^2 f}{\partial x_i \partial x_j}(a) $$
Pour la grande majorité des fonctions rencontrées en pratique (polynômes, fonctions trigonométriques, exponentielles, etc.), les dérivées secondes sont continues sur leur domaine de définition. Par conséquent, pour ces fonctions, on peut toujours intervertir l’ordre de dérivation.
Exemple de Vérification
Vérifions le théorème pour la fonction $f(x,y) = e^{2x} \cos(y)$.
- Calcul de $\frac{\partial^2 f}{\partial y \partial x}$ :
- D’abord par rapport à $x$ : $\frac{\partial f}{\partial x} = 2e^{2x} \cos(y)$.
- Puis par rapport à $y$ : $\frac{\partial}{\partial y}(2e^{2x} \cos(y)) = 2e^{2x} (-\sin(y)) = -2e^{2x} \sin(y)$.
- Calcul de $\frac{\partial^2 f}{\partial x \partial y}$ :
- D’abord par rapport à $y$ : $\frac{\partial f}{\partial y} = -e^{2x} \sin(y)$.
- Puis par rapport à $x$ : $\frac{\partial}{\partial x}(-e^{2x} \sin(y)) = -2e^{2x} \sin(y)$.
On constate bien l’égalité des deux dérivées croisées.
3. Applications de l’Égalité
Symétrie de la Matrice Hessienne
La conséquence la plus directe est que la matrice Hessienne d’une fonction de classe C² est toujours une matrice symétrique. Cette propriété est essentielle pour l’étude des extrémums locaux.
Vérification des Champs de Gradient
Un champ de vecteurs $F=(F_1, F_2, F_3)$ ne peut dériver d’un potentiel scalaire $f$ (c’est-à-dire $F = \nabla f$) que si son rotationnel est nul. Le théorème de Schwarz est la raison profonde de cette condition.
Par exemple, la composante en $z$ du rotationnel est $\frac{\partial F_2}{\partial x} – \frac{\partial F_1}{\partial y}$. Si $F = \nabla f$, cela s’écrit :
$$ \frac{\partial}{\partial x}\left(\frac{\partial f}{\partial y}\right) – \frac{\partial}{\partial y}\left(\frac{\partial f}{\partial x}\right) = \frac{\partial^2 f}{\partial x \partial y} – \frac{\partial^2 f}{\partial y \partial x} $$
Cette quantité est nulle si $f$ est de classe C², d’après le théorème de Schwarz.