Exemples d’Anneaux Euclidiens

Introduction : La Division Euclidienne en Action

La notion d’anneau euclidien formalise l’existence d’une division « avec un reste plus petit ». Pour qu’une telle définition soit utile, il faut pouvoir l’appliquer à des structures concrètes. Les trois exemples ci-dessous sont les piliers sur lesquels repose la théorie des anneaux euclidiens et principaux.

Ils montrent que le « stathme » (la fonction qui mesure la taille des éléments) peut prendre des formes très différentes — la valeur absolue, le degré d’un polynôme ou la norme d’un nombre complexe — mais que le mécanisme sous-jacent reste le même : trouver un multiple du diviseur qui soit « proche » du dividende pour garantir un petit reste. L’étude de ces exemples est essentielle pour comprendre comment la structure euclidienne donne naissance à l’algorithme d’Euclide et, par conséquent, à l’identité de Bézout et à la principalité de l’anneau.

Rappel de la Définition

Un anneau intègre $A$ est dit euclidien s’il existe une fonction $v: A \setminus \{0\} \to \mathbb{N}$ (stathme) telle que pour tous $a, b \in A$ avec $b \neq 0$, il existe $q, r \in A$ vérifiant : $$ a = bq + r \quad \text{et} \quad (r=0 \text{ ou } v(r) < v(b)) $$

Exemple 1 : L’Anneau $\mathbb{Z}$ des Entiers Relatifs

C’est l’exemple le plus intuitif, celui qui a donné son nom à la structure.

  • Anneau : $A = \mathbb{Z}$. C’est un anneau intègre.
  • Stathme : La fonction stathme est la valeur absolue : $v(n) = |n|$. Cette fonction associe bien à tout entier non nul un entier naturel.
  • Vérification de l’axiome de division : Soient $a, b \in \mathbb{Z}$ avec $b \neq 0$. L’algorithme de division euclidienne standard dans $\mathbb{Z}$ affirme qu’il existe un unique couple $(q, r) \in \mathbb{Z}^2$ tel que $a = bq + r$ et $0 \le r < |b|$.
    Si $r=0$, la condition est remplie.
    Si $r \neq 0$, alors $r > 0$, donc $v(r) = r$. La condition $r < |b|$ se traduit directement par $v(r) < v(b)$.

L’existence de la division euclidienne usuelle prouve donc que $(\mathbb{Z}, |\cdot|)$ est un anneau euclidien.

Exemple 2 : L’Anneau des Polynômes $K[X]$ sur un Corps $K$

Cet exemple est crucial en algèbre et a des applications directes dans la théorie des corps et la théorie des codes.

  • Anneau : $A = K[X]$, où $K$ est un corps (par exemple $\mathbb{Q}, \mathbb{R}, \mathbb{C}$ ou un corps fini $\mathbb{F}_p$). C’est un anneau intègre.
  • Stathme : La fonction stathme est le degré du polynôme : $v(P) = \deg(P)$. Pour tout polynôme non nul, son degré est bien un entier naturel.
  • Vérification de l’axiome de division : Soient $A(X), B(X) \in K[X]$ avec $B(X) \neq 0$. L’algorithme de division polynomiale (souvent appelé « division longue » ou « division en potence ») est une procédure standard qui produit un quotient $Q(X)$ et un reste $R(X)$ tels que : $$ A(X) = B(X)Q(X) + R(X) $$ avec la condition que soit le reste est le polynôme nul ($R(X)=0$), soit son degré est strictement inférieur à celui du diviseur ($\deg(R) < \deg(B)$).
    Cette condition se réécrit précisément : $R=0$ ou $v(R) < v(B)$.

Par conséquent, $(K[X], \deg)$ est un anneau euclidien. C’est cette propriété qui permet d’y définir un PGCD et de prouver que $K[X]$ est principal.

Exemple 3 : L’Anneau des Entiers de Gauss $\mathbb{Z}[i]$

Cet exemple est moins évident mais fondamental en théorie des nombres. Il montre que la notion d’anneau euclidien s’étend au-delà des cas les plus connus.

  • Anneau : $A = \mathbb{Z}[i] = \{a+bi \mid a, b \in \mathbb{Z}\}$. C’est un sous-anneau de $\mathbb{C}$, donc il est intègre. Ses éléments forment un réseau de points à coordonnées entières dans le plan complexe. [Image d’un réseau de points pour les entiers de Gauss]
  • Stathme : Le stathme est la norme d’un nombre complexe, définie par $v(a+bi) = a^2+b^2 = |a+bi|^2$. C’est le carré du module. Pour tout $z \in \mathbb{Z}[i]$ non nul, $v(z)$ est un entier strictement positif.
  • Vérification de l’axiome de division : Soient $z_1, z_2 \in \mathbb{Z}[i]$ avec $z_2 \neq 0$. Comment trouver $q$ et $r$ ?
    1. On effectue la division dans le corps des nombres complexes $\mathbb{C}$ : on calcule $\frac{z_1}{z_2} = x+iy$, où $x, y$ sont des nombres rationnels.
    2. On cherche l’entier de Gauss le plus « proche » de ce résultat. On choisit pour quotient $q = m+ni$ où $m$ est l’entier le plus proche de $x$ et $n$ l’entier le plus proche de $y$. On a donc $|x-m| \le 1/2$ et $|y-n| \le 1/2$.
    3. On définit le reste par $r = z_1 – qz_2$.
    Il reste à vérifier que $v(r) < v(z_2)$. En manipulant l'expression, on a : $$ \frac{r}{z_2} = \frac{z_1}{z_2} - q = (x+iy) - (m+ni) = (x-m) + i(y-n) $$ En passant à la norme : $$ v\left(\frac{r}{z_2}\right) = \frac{v(r)}{v(z_2)} = (x-m)^2 + (y-n)^2 \le \left(\frac{1}{2}\right)^2 + \left(\frac{1}{2}\right)^2 = \frac{1}{4} + \frac{1}{4} = \frac{1}{2} $$ On obtient donc $v(r) \le \frac{1}{2} v(z_2)$. Puisque $v(z_2)$ est au moins 1, on a bien $v(r) < v(z_2)$.

La procédure ci-dessus garantit l’existence d’une division euclidienne, donc $(\mathbb{Z}[i], \text{norme})$ est un anneau euclidien.