Introduction : Le Théorème Fondamental de l’Arithmétique Généralisé
Le théorème fondamental de l’arithmétique nous apprend que tout entier supérieur à 1 peut être écrit de manière unique comme un produit de nombres premiers. Cette propriété de factorisation unique est la pierre angulaire de la théorie des nombres. Elle nous permet de comprendre la structure multiplicative de $\mathbb{Z}$, de définir le PGCD et le PPCM, et de résoudre de nombreux problèmes.
Les anneaux principaux sont précisément les structures qui généralisent ce comportement. Ils possèdent une propriété remarquable : ils sont tous des anneaux factoriels. Cela signifie que, tout comme dans $\mathbb{Z}$, chaque élément peut être décomposé de manière unique en un produit d’éléments « indivisibles », appelés éléments irréductibles. Cette propriété n’est pas vraie dans tous les anneaux, et le fait qu’elle soit garantie dans les anneaux principaux en fait des objets d’étude privilégiés.
- Éléments Associés : Deux éléments $a, b$ d’un anneau intègre $A$ sont dits associés s’il existe un élément inversible (une unité) $u \in A^\times$ tel que $a=bu$. Par exemple, dans $\mathbb{Z}$, 3 et -3 sont associés ($u=-1$). Dans $\mathbb{Z}[i]$, $1+i$ et $i(1+i)=-1+i$ sont associés ($u=i$).
- Élément Irréductible : Un élément $p$ d’un anneau intègre $A$, qui n’est ni nul ni inversible, est dit irréductible si ses seuls diviseurs sont les inversibles et ses associés. Autrement dit, si $p=ab$, alors soit $a$ est inversible, soit $b$ est inversible. C’est la généralisation de la notion de nombre premier.
Soit $A$ un anneau principal. Alors $A$ est un anneau factoriel. Cela signifie que pour tout élément $x \in A$ non nul et non inversible :
- Existence : $x$ peut s’écrire comme un produit d’un nombre fini d’éléments irréductibles : $$ x = p_1 p_2 \dots p_n $$
- Unicité : Si $x = q_1 q_2 \dots q_m$ est une autre décomposition en irréductibles, alors $m=n$ et, à une permutation près des indices, chaque $p_i$ est associé à un $q_i$.
Esquisse de la Preuve
La démonstration de ce théorème majeur se déroule en deux étapes distinctes, chacune s’appuyant sur une propriété clé des anneaux principaux.
1. Preuve de l’Existence de la Décomposition
L’existence de la décomposition est garantie par le fait que tout anneau principal est noethérien. Un anneau noethérien est un anneau où toute suite croissante d’idéaux est stationnaire.
Supposons par l’absurde qu’il existe un élément $x_0$ qui ne peut pas être décomposé en produit d’irréductibles.
- Cela signifie que $x_0$ n’est pas lui-même irréductible. On peut donc l’écrire $x_0 = x_1 y_1$, où ni $x_1$ ni $y_1$ ne sont inversibles.
- Si $x_1$ et $y_1$ avaient tous deux une décomposition, leur produit en aurait une aussi, ce qui contredirait notre hypothèse sur $x_0$. Donc, l’un des deux, disons $x_1$, n’admet pas de décomposition.
- Comme $x_1$ divise $x_0$ et que $y_1$ n’est pas inversible, l’idéal $(x_0)$ est strictement contenu dans l’idéal $(x_1)$.
- On peut répéter ce processus : on écrit $x_1 = x_2 y_2$, ce qui crée une inclusion stricte $(x_1) \subset (x_2)$, et ainsi de suite.
On construit ainsi une suite d’idéaux strictement croissante : $$ (x_0) \subset (x_1) \subset (x_2) \subset \dots $$ Une telle suite contredit la propriété noethérienne de l’anneau. L’hypothèse de départ est donc fausse, et tout élément doit admettre une décomposition.
2. Preuve de l’Unicité de la Décomposition
L’unicité repose sur le lemme de Gauss (ou lemme d’Euclide généralisé), qui est une conséquence de l’identité de Bézout.
Dans un anneau principal, si $p$ est un élément irréductible et que $p$ divise un produit $ab$, alors $p$ divise $a$ ou $p$ divise $b$.
(Ceci vient du fait que dans un anneau principal, « irréductible » est équivalent à « premier », et la propriété ci-dessus est la définition d’un élément premier).
Maintenant, supposons qu’un élément $x$ ait deux décompositions : $$ p_1 p_2 \dots p_n = q_1 q_2 \dots q_m $$
- L’irréductible $p_1$ divise le produit de droite. D’après le lemme, $p_1$ doit diviser l’un des $q_j$, disons $q_1$ (après réarrangement).
- Puisque $q_1$ est lui-même irréductible, ses seuls diviseurs sont les unités et ses associés. Comme $p_1$ n’est pas une unité, $p_1$ doit être associé à $q_1$. On a donc $q_1 = u_1 p_1$ pour une unité $u_1$.
- On peut simplifier l’équation par $p_1$ : $$ p_2 \dots p_n = u_1 q_2 \dots q_m $$
- On répète ce processus : $p_2$ doit être associé à l’un des $q_j$ restants, et ainsi de suite.
En continuant de la sorte, on montre que $n=m$ et que chaque $p_i$ est associé à un unique $q_j$. La décomposition est donc unique aux associés et à l’ordre près.
Exemples de Factorisation
- Dans $\mathbb{Z}$ : L’entier $60$ se factorise en $2^2 \cdot 3 \cdot 5$. C’est sa seule décomposition en nombres premiers.
- Dans $\mathbb{R}[X]$ : Le polynôme $P(X) = X^4 – 1$ se factorise en $(X-1)(X+1)(X^2+1)$. Les trois facteurs sont irréductibles dans $\mathbb{R}[X]$.
- Dans $\mathbb{C}[X]$ : Le même polynôme $P(X) = X^4 – 1$ se factorise en $(X-1)(X+1)(X-i)(X+i)$. Les quatre facteurs sont irréductibles dans $\mathbb{C}[X]$ (car ils sont de degré 1).