Identité de Bézout Généralisée

Introduction : De Deux à Plusieurs Éléments

L’identité de Bézout est un pilier de l’arithmétique dans les anneaux euclidiens et principaux. Dans sa forme la plus connue, elle stipule que pour deux entiers $a$ et $b$, leur plus grand commun diviseur (PGCD) peut toujours s’écrire comme une combinaison linéaire de $a$ et $b$ : $$ au + bv = \text{pgcd}(a, b) $$ L’algorithme d’Euclide étendu nous fournit une méthode pour trouver les coefficients $u$ et $v$.

Une question naturelle se pose : ce résultat se généralise-t-il à plus de deux éléments ? Peut-on, par exemple, pour trois entiers $a, b, c$, exprimer leur PGCD comme une combinaison $au + bv + cw$ ? La réponse est oui, et cette extension, connue sous le nom d’identité de Bézout généralisée, est une conséquence directe de la structure des anneaux principaux.

Théorème : Identité de Bézout Généralisée

Soit $A$ un anneau principal (par exemple $\mathbb{Z}$ ou $K[X]$). Soient $a_1, a_2, \dots, a_n$ des éléments de $A$.

Il existe des coefficients $u_1, u_2, \dots, u_n$ dans $A$ tels que : $$ a_1 u_1 + a_2 u_2 + \dots + a_n u_n = d $$ où $d = \text{pgcd}(a_1, a_2, \dots, a_n)$.

Démonstration par Récurrence (Cas de $\mathbb{Z}$)

La preuve la plus intuitive pour les entiers se fait par récurrence sur le nombre d’éléments $n$.

  • Cas de base (n=2) : La propriété est vraie pour deux entiers, c’est l’identité de Bézout standard, démontrée par l’algorithme d’Euclide étendu.
  • Hypothèse de récurrence : Supposons que la propriété est vraie pour $n-1$ entiers. C’est-à-dire, pour $a_1, \dots, a_{n-1}$, il existe $u’_1, \dots, u’_{n-1}$ tels que $a_1 u’_1 + \dots + a_{n-1} u’_{n-1} = \text{pgcd}(a_1, \dots, a_{n-1})$.
  • Étape d’induction (rang n) : On utilise la propriété d’associativité du PGCD : $$ d = \text{pgcd}(a_1, \dots, a_n) = \text{pgcd}(\text{pgcd}(a_1, \dots, a_{n-1}), a_n) $$ Posons $d’ = \text{pgcd}(a_1, \dots, a_{n-1})$. On a donc $d = \text{pgcd}(d’, a_n)$.
    En appliquant l’identité de Bézout standard à $d’$ et $a_n$, on sait qu’il existe deux entiers $u$ et $v$ tels que : $$ d’u + a_n v = d $$ Maintenant, on utilise notre hypothèse de récurrence sur $d’$ : $$ (a_1 u’_1 + \dots + a_{n-1} u’_{n-1})u + a_n v = d $$ En distribuant le coefficient $u$, on obtient : $$ a_1(u’_1 u) + a_2(u’_2 u) + \dots + a_{n-1}(u’_{n-1} u) + a_n v = d $$ Il suffit de poser $u_i = u’_i u$ for $i=1, \dots, n-1$ et $u_n = v$. On a bien trouvé des coefficients qui satisfont l’identité pour $n$ éléments.

La propriété est donc démontrée par récurrence.

Exemple : Trouver les coefficients pour pgcd(42, 70, 105)

Calculons le PGCD et les coefficients de Bézout pour $a=42$, $b=70$ et $c=105$.

  1. Étape 1 : PGCD et Bézout pour les deux premiers.
    On calcule $d’ = \text{pgcd}(42, 70)$.
    $70 = 1 \cdot 42 + 28$
    $42 = 1 \cdot 28 + 14$
    $28 = 2 \cdot 14 + 0$. Donc $d’ = 14$.
    En remontant : $14 = 42 – 1 \cdot 28 = 42 – 1 \cdot (70 – 1 \cdot 42) = 2 \cdot 42 – 1 \cdot 70$. On a donc la relation : $2 \cdot 42 + (-1) \cdot 70 = 14$.
  2. Étape 2 : PGCD du résultat avec le troisième.
    On calcule $d = \text{pgcd}(d’, 105) = \text{pgcd}(14, 105)$.
    $105 = 7 \cdot 14 + 7$
    $14 = 2 \cdot 7 + 0$. Donc $d=7$.
    On a la relation simple : $7 = 105 – 7 \cdot 14$.
  3. Étape 3 : Substitution pour obtenir la relation finale.
    On remplace 14 par son expression trouvée à l’étape 1 dans la relation de l’étape 2 : $$ 7 = 105 – 7 \cdot (2 \cdot 42 + (-1) \cdot 70) $$ $$ 7 = 105 – 14 \cdot 42 + 7 \cdot 70 $$ $$ (-14) \cdot 42 + (7) \cdot 70 + (1) \cdot 105 = 7 $$ Les coefficients de Bézout sont $u=-14$, $v=7$ et $w=1$.

Preuve Élégante dans les Anneaux Principaux

Dans un anneau principal $A$, la preuve est plus directe et conceptuelle.

Considérons l’ensemble $I$ de toutes les combinaisons linéaires des éléments $a_1, \dots, a_n$ : $$ I = \{ x_1 a_1 + \dots + x_n a_n \mid x_i \in A \} $$ Cet ensemble $I$ est un idéal de $A$. Comme $A$ est un anneau principal, cet idéal est engendré par un seul élément, disons $d$. On a donc $I=(d)$.

  1. Puisque $d \in I$, $d$ est lui-même une combinaison linéaire des $a_i$. Il existe donc $u_1, \dots, u_n$ tels que $d = u_1 a_1 + \dots + u_n a_n$.
  2. Chaque $a_i$ est dans $I$ (par exemple, $a_1 = 1 \cdot a_1 + 0 \cdot a_2 + \dots$). Comme $I=(d)$, chaque $a_i$ est un multiple de $d$. Donc $d$ est un diviseur commun des $a_i$.
  3. Si $c$ est un autre diviseur commun des $a_i$, alors $c$ divise toute combinaison linéaire des $a_i$. En particulier, $c$ divise $d$.

Ces deux dernières propriétés sont la définition du PGCD. Donc, $d=\text{pgcd}(a_1, \dots, a_n)$, et la première propriété nous donne exactement l’identité de Bézout généralisée.