Exemple : l’anneau Z/nZ

Introduction : Le Monde Fini de l’Arithmétique Modulaire

L’anneau $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ est sans doute l’un des premiers exemples non triviaux et des plus importants d’anneau quotient que l’on rencontre en algèbre. Il représente l’ensemble des entiers « vus à travers le prisme de la division par $n$ ». Cette structure, issue de l’arithmétique modulaire, est fondamentale non seulement en mathématiques pures (théorie des nombres, théorie des groupes, algèbre commutative), mais aussi dans de nombreuses applications pratiques comme la cryptographie, la théorie des codes et l’informatique.

Loin d’être une simple curiosité, l’étude de $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ est une porte d’entrée vers des concepts plus abstraits. Ses propriétés (est-ce un corps ? un anneau intègre ?) dépendent de manière cruciale de la nature arithmétique de l’entier $n$. En explorant cet anneau, on voit s’incarner de manière concrète les théorèmes généraux sur les anneaux quotients, les idéaux premiers et maximaux.

Définition de l’Anneau $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$

Soit $n$ un entier supérieur ou égal à 2. On définit l’idéal de $\mathbb{Z}$ engendré par $n$ comme l’ensemble de tous les multiples de $n$ : $$ n\mathbb{Z} = \{ nk \mid k \in \mathbb{Z} \} $$ L’anneau des entiers modulo n, noté $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$, est l’anneau quotient de l’anneau $\mathbb{Z}$ par son idéal $n\mathbb{Z}$.

Ses éléments sont les classes d’équivalence pour la relation de congruence modulo $n$. Pour un entier $a \in \mathbb{Z}$, sa classe est : $$ \bar{a} = a + n\mathbb{Z} = \{ a + nk \mid k \in \mathbb{Z} \} $$ C’est l’ensemble de tous les entiers ayant le même reste que $a$ dans la division euclidienne par $n$. L’ensemble $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ contient exactement $n$ éléments distincts : $$ \mathbb{Z}/n\mathbb{Z} = \{ \bar{0}, \bar{1}, \bar{2}, \dots, \overline{n-1} \} $$

Opérations et Structure d’Anneau

Les opérations d’addition et de multiplication sur $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ sont héritées de celles de $\mathbb{Z}$ et sont définies sur les classes en opérant sur leurs représentants :

  • Addition : $\bar{a} + \bar{b} = \overline{a+b}$
  • Multiplication : $\bar{a} \cdot \bar{b} = \overline{a \cdot b}$

Le fait que ces opérations soient bien définies (c’est-à-dire que le résultat ne dépend pas du choix des représentants $a$ et $b$) est garanti par la théorie des anneaux quotients. Muni de ces deux lois, $(\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}, +, \cdot)$ est un anneau commutatif unitaire, où $\bar{0}$ est l’élément neutre pour l’addition et $\bar{1}$ est l’élément unité pour la multiplication.

Propriétés en fonction de la nature de $n$

La richesse de la structure de $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ se révèle lorsque l’on analyse ses propriétés en fonction de la décomposition de $n$ en facteurs premiers.

Caractérisation de la Structure

Soit l’anneau $A = \mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$.

  1. L’anneau $A$ est un corps si et seulement si $n$ est un nombre premier.
  2. L’anneau $A$ est un anneau intègre si et seulement si $n$ est un nombre premier.

Cas 1 : $n=p$, un nombre premier

Lorsque $n=p$ est un nombre premier, l’idéal $p\mathbb{Z}$ est un idéal maximal de $\mathbb{Z}$. D’après le théorème de correspondance, cela implique que l’anneau quotient $\mathbb{Z}/p\mathbb{Z}$ est un corps.

Preuve directe : Pour montrer que $\mathbb{Z}/p\mathbb{Z}$ est un corps, il faut montrer que tout élément non nul $\bar{a}$ (avec $a \not\equiv 0 \pmod p$) est inversible. Si $a$ n’est pas un multiple de $p$, et comme $p$ est premier, alors $a$ et $p$ sont premiers entre eux : $\text{pgcd}(a, p) = 1$. D’après le théorème de Bézout, il existe des entiers $u, v \in \mathbb{Z}$ tels que : $$ au + pv = 1 $$ En regardant cette équation modulo $p$, le terme $pv$ devient nul : $$ au \equiv 1 \pmod p $$ En termes de classes, cela s’écrit $\bar{a} \cdot \bar{u} = \bar{1}$. L’élément $\bar{u}$ est donc l’inverse de $\bar{a}$ dans $\mathbb{Z}/p\mathbb{Z}$.
Exemple : Dans $\mathbb{Z}/7\mathbb{Z}$, cherchons l’inverse de $\bar{3}$. On a $3 \times 5 = 15 = 2 \times 7 + 1$, donc $3 \times 5 \equiv 1 \pmod 7$. L’inverse de $\bar{3}$ est $\bar{5}$.

Cas 2 : $n$ est un nombre composé

Si $n$ est composé, alors il existe deux entiers $a, b$ tels que $1 < a, b < n$ et $n=ab$. Dans l'anneau $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$, considérons les éléments $\bar{a}$ et $\bar{b}$. Ni $\bar{a}$ ni $\bar{b}$ ne sont nuls, car ni $a$ ni $b$ ne sont des multiples de $n$. Cependant, leur produit est : $$ \bar{a} \cdot \bar{b} = \overline{ab} = \bar{n} = \bar{0} $$ Nous avons trouvé des diviseurs de zéro. La présence de diviseurs de zéro implique que $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ n’est pas un anneau intègre, et par conséquent, ce ne peut pas être un corps.
Exemple : Dans $\mathbb{Z}/6\mathbb{Z}$, on a $\bar{2} \neq \bar{0}$ et $\bar{3} \neq \bar{0}$, mais $\bar{2} \cdot \bar{3} = \bar{6} = \bar{0}$.

Le Groupe des Inversibles et le Théorème des Restes Chinois

L’ensemble des éléments inversibles d’un anneau $A$ forme un groupe multiplicatif, noté $A^\times$. Pour l’anneau $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$, ce groupe est d’une importance capitale en théorie des nombres.

Groupe des Unités $(\mathbb{Z}/n\mathbb{Z})^\times$

Un élément $\bar{a} \in \mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ est inversible si et seulement si $\text{pgcd}(a, n) = 1$. Le groupe des unités est donc : $$ (\mathbb{Z}/n\mathbb{Z})^\times = \{ \bar{a} \in \mathbb{Z}/n\mathbb{Z} \mid \text{pgcd}(a, n) = 1 \} $$ L’ordre de ce groupe est donné par l’indicatrice d’Euler, $\phi(n)$.

Le théorème des restes chinois fournit un isomorphisme d’anneaux qui permet de décomposer la structure de $\mathbb{Z}/n\mathbb{Z}$ lorsque $n$ est un produit de facteurs premiers entre eux.

Théorème des Restes Chinois

Si $n = n_1 n_2 \dots n_k$ où les entiers $n_i$ sont deux à deux premiers entre eux, alors il existe un isomorphisme d’anneaux : $$ \mathbb{Z}/n\mathbb{Z} \cong \mathbb{Z}/n_1\mathbb{Z} \times \mathbb{Z}/n_2\mathbb{Z} \times \dots \times \mathbb{Z}/n_k\mathbb{Z} $$

Cet isomorphisme a pour conséquence directe un isomorphisme sur les groupes d’unités : $$ (\mathbb{Z}/n\mathbb{Z})^\times \cong (\mathbb{Z}/n_1\mathbb{Z})^\times \times (\mathbb{Z}/n_2\mathbb{Z})^\times \times \dots \times (\mathbb{Z}/n_k\mathbb{Z})^\times $$

Application du Théorème Chinois

Considérons $\mathbb{Z}/15\mathbb{Z}$. Comme $15=3 \times 5$ et que $\text{pgcd}(3,5)=1$, on a l’isomorphisme : $$ \mathbb{Z}/15\mathbb{Z} \cong \mathbb{Z}/3\mathbb{Z} \times \mathbb{Z}/5\mathbb{Z} $$ Un élément comme $\bar{7} \in \mathbb{Z}/15\mathbb{Z}$ est envoyé sur le couple $(7 \pmod 3, 7 \pmod 5) = (\bar{1}, \bar{2})$. Cet isomorphisme permet de simplifier les calculs. Par exemple, résoudre $x^2 \equiv 4 \pmod{15}$ revient à résoudre le système :

  • $x^2 \equiv 4 \equiv 1 \pmod 3 \implies x \equiv \pm 1 \pmod 3$
  • $x^2 \equiv 4 \pmod 5 \implies x \equiv \pm 2 \pmod 5$
En combinant les solutions, on retrouve les quatre racines $\bar{2}, \bar{7}, \bar{8}, \bar{13}$ dans $\mathbb{Z}/15\mathbb{Z}$.