Le Théorème de Borel-Lebesgue
Le théorème de Borel-Lebesgue est l’un des piliers de l’analyse réelle. Il établit un pont entre une notion topologique abstraite (la compacité de Borel-Lebesgue, définie par les recouvrements d’ouverts) et des propriétés géométriques simples (être fermé et borné). Cette équivalence, spécifique aux espaces vectoriels normés de dimension finie comme $\mathbb{R}^n$, est d’une puissance et d’une utilité pratique considérables.
Soit $K$ une partie de $\mathbb{R}^n$. Les trois propositions suivantes sont équivalentes :
- $K$ est compact (au sens de Borel-Lebesgue : de tout recouvrement ouvert de $K$, on peut extraire un sous-recouvrement fini).
- $K$ est fermé et borné.
- De toute suite d’éléments de $K$, on peut extraire une sous-suite qui converge dans $K$ (propriété de Bolzano-Weierstrass).
Nous allons nous concentrer sur la démonstration de l’équivalence entre (1) et (2).
Démonstration
Partie 1 : Compact $\implies$ Fermé et Borné
Cette implication est la plus simple et reste vraie dans un cadre plus général que $\mathbb{R}^n$.
Soit $K$ un compact de $\mathbb{R}^n$. Considérons la famille de boules ouvertes centrées en l’origine : $(B(0, p))_{p \in \mathbb{N}^*}$.
Cette famille est un recouvrement ouvert de $\mathbb{R}^n$ tout entier, car pour tout $x \in \mathbb{R}^n$, il existe un entier $p$ tel que $\|x\| < p$.
En particulier, c’est un recouvrement ouvert de $K$ : $K \subset \bigcup_{p=1}^\infty B(0, p)$.
Puisque $K$ est compact, on peut extraire un sous-recouvrement fini. Il existe donc un ensemble fini d’entiers $\{p_1, p_2, \dots, p_m\}$ tel que :
$$ K \subset B(0, p_1) \cup B(0, p_2) \cup \dots \cup B(0, p_m) $$
Soit $P = \max(p_1, p_2, \dots, p_m)$. Comme les boules sont emboîtées, l’union est simplement la plus grande des boules :
$$ K \subset B(0, P) $$
Ceci prouve que $K$ est contenu dans une boule de rayon fini, et donc que $K$ est borné.
Nous allons montrer que le complémentaire de $K$, noté $K^c = \mathbb{R}^n \setminus K$, est ouvert.
Soit $y$ un point quelconque dans $K^c$. Pour chaque point $x \in K$, on peut trouver deux boules ouvertes disjointes : $U_x = B(x, r_x)$ et $V_x = B(y, r_x)$ avec $r_x = \|x-y\|/2 > 0$.
La famille $(U_x)_{x \in K}$ est un recouvrement ouvert de $K$.
Puisque $K$ est compact, on peut en extraire un sous-recouvrement fini : il existe $\{x_1, \dots, x_k\} \subset K$ tel que $K \subset U_{x_1} \cup \dots \cup U_{x_k}$.
Considérons maintenant les boules correspondantes centrées en $y$ : $V_{x_1}, \dots, V_{x_k}$. Posons $V = \bigcap_{i=1}^k V_{x_i}$.
$V$ est une intersection finie d’ouverts, c’est donc un ouvert. De plus, $y \in V$.
Par construction, pour chaque $i$, $U_{x_i}$ et $V_{x_i}$ sont disjoints. Donc, $V$ est disjoint de chaque $U_{x_i}$. Par conséquent, $V$ est disjoint de leur union, qui contient $K$.
On a donc trouvé un voisinage ouvert $V$ de $y$ tel que $V \cap K = \emptyset$, ce qui signifie que $V \subset K^c$.
Ceci étant vrai pour tout $y \in K^c$, on conclut que $K^c$ est ouvert, et donc que $K$ est fermé.
Partie 2 : Fermé et Borné $\implies$ Compact
Cette implication est beaucoup plus profonde et repose sur la structure de $\mathbb{R}^n$. La preuve se fait en deux étapes : on montre d’abord le résultat pour un « pavé » (hyper-rectangle), puis on le généralise à tout fermé borné.
Soit $P = [a_1, b_1] \times \dots \times [a_n, b_n]$ un pavé fermé dans $\mathbb{R}^n$. Soit $(U_i)_{i \in I}$ un recouvrement ouvert de $P$.
Supposons par l’absurde que l’on ne puisse pas en extraire un sous-recouvrement fini.
On coupe le pavé $P$ en $2^n$ sous-pavés en divisant chaque intervalle $[a_j, b_j]$ en deux. Au moins l’un de ces sous-pavés, que l’on nomme $P_1$, ne peut pas être recouvert par un nombre fini d’ouverts de la famille $(U_i)$.
On recommence le processus avec $P_1$ pour obtenir un pavé $P_2$, et ainsi de suite. On construit une suite de pavés fermés emboîtés :
$$ P \supset P_1 \supset P_2 \supset \dots \supset P_k \supset \dots $$
dont le diamètre tend vers 0. D’après le théorème des fermés emboîtés dans un espace complet, l’intersection de tous ces pavés n’est pas vide et est réduite à un unique point : $\bigcap_{k=0}^\infty P_k = \{x_0\}$.
Puisque $x_0 \in P$, il doit être couvert par l’un des ouverts du recouvrement initial, disons $U_j$.
Comme $U_j$ est ouvert, il existe une boule $B(x_0, r)$ entièrement incluse dans $U_j$.
Puisque le diamètre de $P_k$ tend vers 0, il existe un rang $K$ à partir duquel le pavé $P_K$ est si petit qu’il est entièrement contenu dans la boule $B(x_0, r)$, et donc dans $U_j$.
Ceci est une contradiction : nous avons trouvé un pavé $P_K$ de la suite qui est recouvert par un seul ouvert ($U_j$), alors que nous l’avions construit précisément parce qu’il ne pouvait pas être recouvert par un nombre fini d’ouverts.
L’hypothèse de départ est donc fausse : tout pavé fermé est compact.
Soit $K$ un ensemble fermé et borné de $\mathbb{R}^n$. Puisqu’il est borné, il est contenu dans un grand pavé fermé $P$.
Soit $(U_i)_{i \in I}$ un recouvrement ouvert de $K$.
L’ensemble $\mathbb{R}^n \setminus K$ est un ouvert, car $K$ est fermé.
La famille constituée de tous les $(U_i)$ et de l’ouvert $\mathbb{R}^n \setminus K$ forme un recouvrement ouvert du pavé $P$.
D’après le point (a), le pavé $P$ est compact. On peut donc extraire un sous-recouvrement fini de cette famille :
$$ P \subset U_{j_1} \cup \dots \cup U_{j_m} \cup (\mathbb{R}^n \setminus K) $$
Cette relation est vraie pour $P$, donc a fortiori pour $K$ qui est inclus dans $P$. Mais les points de $K$ ne sont pas dans $\mathbb{R}^n \setminus K$. On a donc :
$$ K \subset U_{j_1} \cup \dots \cup U_{j_m} $$
Nous avons extrait un sous-recouvrement fini de $(U_i)$ qui recouvre $K$. Donc $K$ est compact.