Polynômes Irréductibles de R[X]

Introduction : Les Atomes de l’Anneau $\mathbb{R}[X]$

La factorisation d’un polynôme consiste à le décomposer en un produit de polynômes de plus bas degré, appelés facteurs irréductibles. Ces facteurs sont les « briques » ou les « atomes » à partir desquels tous les autres polynômes peuvent être construits par multiplication. La nature de ces briques dépend entièrement du corps dans lequel on travaille.

Dans l’anneau des polynômes à coefficients réels, $\mathbb{R}[X]$, la situation est particulièrement intéressante. Contrairement au corps $\mathbb{C}$ où tous les polynômes irréductibles sont de degré 1, le corps $\mathbb{R}$ n’est pas algébriquement clos. Cela signifie que certains polynômes, comme $X^2+1$, ne peuvent pas être décomposés en facteurs de degré 1 à coefficients réels. Un théorème fondamental classifie précisément les deux seuls types de polynômes irréductibles qui existent dans $\mathbb{R}[X]$.

Rappel : Polynôme Irréductible

Un polynôme $P(X) \in \mathbb{R}[X]$ non constant est dit irréductible sur $\mathbb{R}$ s’il ne peut pas s’écrire comme un produit de deux polynômes de $\mathbb{R}[X]$ de degrés strictement inférieurs à celui de $P$.

La Classification des Irréductibles de $\mathbb{R}[X]$

Le théorème central qui régit la factorisation sur les réels est une conséquence directe du théorème de d’Alembert-Gauss et de la propriété des racines complexes conjuguées pour les polynômes à coefficients réels.

Théorème de Caractérisation

Les polynômes irréductibles de l’anneau $\mathbb{R}[X]$ sont exactement :

  1. Les polynômes de degré 1 (de la forme $ax+b$ avec $a \neq 0$).
  2. Les polynômes de degré 2 dont le discriminant est strictement négatif (de la forme $ax^2+bx+c$ avec $a \neq 0$ et $b^2-4ac < 0$).

Tout polynôme de $\mathbb{R}[X]$ de degré supérieur ou égal à 3 est donc nécessairement réductible (factorisable) sur $\mathbb{R}$.

Démonstration du Théorème

Montrons pourquoi ces deux types sont les seuls polynômes irréductibles possibles dans $\mathbb{R}[X]$.

Partie 1 : Ces polynômes sont bien irréductibles

  • Un polynôme de degré 1 ne peut pas être le produit de deux polynômes de degrés inférieurs (qui seraient de degré 0, donc des constantes), car le produit aurait un degré 0. Ils sont donc irréductibles.
  • Un polynôme de degré 2 à discriminant négatif n’a pas de racine réelle. S’il était réductible, il devrait être le produit de deux polynômes de degré 1. Or, un produit de polynômes de degré 1, $(ax+b)(cx+d)$, a toujours au moins une racine réelle ($-b/a$ et $-d/c$). C’est une contradiction. Ils sont donc irréductibles.

Partie 2 : Il n’y en a pas d’autres

Soit $P(X)$ un polynôme à coefficients réels de degré $n \ge 1$.

  1. D’après le théorème de d’Alembert-Gauss, $P(X)$, vu comme un polynôme de $\mathbb{C}[X]$, admet au moins une racine complexe $\alpha \in \mathbb{C}$.
  2. Cas 1 : La racine $\alpha$ est réelle.
    Si $\alpha \in \mathbb{R}$, alors le polynôme $(X-\alpha)$ est un facteur de $P(X)$ dans $\mathbb{R}[X]$. On peut donc écrire $P(X) = (X-\alpha)Q(X)$, où $Q(X)$ est un polynôme de $\mathbb{R}[X]$ de degré $n-1$. Si $n \ge 2$, $P(X)$ est réductible.
  3. Cas 2 : La racine $\alpha$ est complexe mais non réelle.
    Si $\alpha \in \mathbb{C} \setminus \mathbb{R}$, alors comme $P(X)$ est à coefficients réels, son conjugué $\bar{\alpha}$ est aussi une racine de $P$. De plus, $\alpha \neq \bar{\alpha}$.
    Les polynômes $(X-\alpha)$ et $(X-\bar{\alpha})$ divisent donc $P(X)$ dans $\mathbb{C}[X]$. Leur produit, $$ (X-\alpha)(X-\bar{\alpha}) = X^2 – (\alpha+\bar{\alpha})X + \alpha\bar{\alpha} = X^2 – 2\text{Re}(\alpha)X + |\alpha|^2 $$ est un polynôme à coefficients réels qui divise $P(X)$. C’est un polynôme de degré 2 à discriminant négatif.
    On peut donc écrire $P(X) = (X^2 – 2\text{Re}(\alpha)X + |\alpha|^2)Q(X)$, où $Q(X)$ est un polynôme de $\mathbb{R}[X]$ de degré $n-2$. Si $n \ge 3$, $P(X)$ est réductible.

Conclusion : Tout polynôme de degré $n \ge 3$ admet soit une racine réelle, soit deux racines complexes conjuguées, ce qui permet dans tous les cas de le factoriser en un produit d’un polynôme de degré 1 ou 2 et d’un autre polynôme. Le processus de factorisation peut être continué jusqu’à ce qu’il ne reste que des facteurs de degré 1 ou des facteurs de degré 2 à discriminant négatif.