Racines des Polynômes

Introduction : À la Recherche des Zéros

La recherche des racines d’un polynôme, c’est-à-dire les valeurs pour lesquelles le polynôme s’annule, est l’un des problèmes les plus anciens et les plus fondamentaux de l’algèbre. Historiquement, la résolution d’équations polynomiales a motivé le développement de concepts majeurs comme les nombres complexes et la théorie des groupes.

Une racine n’est pas juste une solution à une équation ; elle révèle des informations profondes sur la structure même du polynôme. Un lien direct et puissant existe entre les racines d’un polynôme et sa factorisation. Chaque racine correspond à un facteur de degré 1, ce qui permet de « casser » un polynôme complexe en morceaux plus simples. L’étude des racines, de leur nombre et de leur nature (réelle, complexe, multiple) est donc essentielle pour comprendre et manipuler ces objets algébriques centraux.

Définition d’une Racine

Soit $A$ un anneau commutatif, $P(X) \in A[X]$ un polynôme à coefficients dans $A$. Un élément $\alpha \in A$ est une racine (ou un zéro) du polynôme $P(X)$ si l’évaluation de $P$ en $\alpha$ est nulle : $$ P(\alpha) = 0 $$

Lien Fondamental entre Racines et Divisibilité

Le résultat le plus important concernant les racines est qu’elles correspondent exactement aux facteurs de la forme $(X-\alpha)$.

Théorème

Soit $P(X) \in K[X]$ un polynôme sur un corps $K$. Un élément $\alpha \in K$ est une racine de $P(X)$ si et seulement si le polynôme $(X-\alpha)$ divise $P(X)$.

Démonstration :

  • ($\impliedby$) Si $(X-\alpha)$ divise $P(X)$, alors il existe un polynôme $Q(X)$ tel que $P(X) = (X-\alpha)Q(X)$. En évaluant en $\alpha$, on obtient $P(\alpha) = (\alpha-\alpha)Q(\alpha) = 0 \cdot Q(\alpha) = 0$. Donc $\alpha$ est une racine.
  • ($\implies$) Supposons que $\alpha$ est une racine, donc $P(\alpha)=0$. Effectuons la division euclidienne de $P(X)$ par $(X-\alpha)$. Il existe $Q(X)$ et un reste $R(X)$ tels que : $$ P(X) = (X-\alpha)Q(X) + R(X) $$ avec $\deg(R) < \deg(X-\alpha)=1$. Le reste $R(X)$ est donc un polynôme constant, disons $R(X)=c$. En évaluant l'équation en $\alpha$, on a $P(\alpha) = (\alpha-\alpha)Q(\alpha) + c$. Comme $P(\alpha)=0$, on obtient $0 = 0 + c$, donc $c=0$. Le reste est nul, ce qui signifie que $(X-\alpha)$ divise bien $P(X)$.

Multiplicité d’une Racine

Une racine peut apparaître « plusieurs fois ». Par exemple, pour $P(X)=(X-2)^3$, la racine 2 joue un rôle triple. Cette notion est formalisée par la multiplicité.

Définition de la Multiplicité

Soit $\alpha$ une racine d’un polynôme non nul $P(X)$. L’ordre de multiplicité de la racine $\alpha$ est le plus grand entier $k \ge 1$ tel que $(X-\alpha)^k$ divise $P(X)$.

  • Si $k=1$, on parle de racine simple.
  • Si $k=2$, on parle de racine double.
  • Si $k \ge 2$, on parle de racine multiple.

Caractérisation par les Dérivées Formelles

Tester la multiplicité en effectuant des divisions successives peut être fastidieux. Un outil bien plus puissant est la dérivée formelle d’un polynôme.

Théorème de Caractérisation de la Multiplicité

Soit $P(X)$ un polynôme et $\alpha$ une racine de $P$. La racine $\alpha$ est d’ordre de multiplicité $k$ si et seulement si : $$ P(\alpha) = P'(\alpha) = P »(\alpha) = \dots = P^{(k-1)}(\alpha) = 0 \quad \text{et} \quad P^{(k)}(\alpha) \neq 0 $$ En particulier, une racine $\alpha$ est multiple si et seulement si $P(\alpha)=P'(\alpha)=0$.

Exemple

Soit $P(X) = X^3 – 3X + 2$.
$P(1) = 1-3+2 = 0$, donc 1 est une racine.
Calculons les dérivées : $P'(X) = 3X^2-3$. On a $P'(1) = 3-3=0$. La racine 1 est donc au moins double.
$P »(X) = 6X$. On a $P »(1) = 6 \neq 0$.
Conclusion : 1 est une racine de multiplicité 2 (racine double). On peut donc factoriser $P(X)$ par $(X-1)^2$.

Le Théorème Fondamental de l’Algèbre

Une question naturelle est : un polynôme a-t-il toujours des racines ? La réponse dépend du corps dans lequel on se place.

Théorème de d’Alembert-Gauss

Tout polynôme non constant à coefficients dans le corps des nombres complexes $\mathbb{C}$ admet au moins une racine dans $\mathbb{C}$.

Un corps vérifiant cette propriété est dit algébriquement clos.

Corollaire : Un polynôme $P(X) \in \mathbb{C}[X]$ de degré $n \ge 1$ admet exactement $n$ racines dans $\mathbb{C}$, comptées avec leur ordre de multiplicité. Il se scinde donc complètement : $$ P(X) = c(X-\alpha_1)(X-\alpha_2)\dots(X-\alpha_n) $$