Le théorème de Jordan-Hölder nous apprend que tout groupe fini peut être décomposé de manière unique en une série de « facteurs de composition ». Ces facteurs sont des groupes simples, qui sont les groupes ne possédant aucun sous-groupe normal non trivial.
Les groupes simples finis sont donc les « briques élémentaires » ou les « atomes » à partir desquels tous les groupes finis sont construits. Connaître la liste complète de tous les groupes simples finis possibles est donc une étape fondamentale pour comprendre la structure de n’importe quel groupe fini. Le théorème de classification fournit cette liste exhaustive.
Tout groupe fini simple appartient à l’une des quatre catégories suivantes :
- Les groupes cycliques d’ordre premier : Le groupe $\mathbb{Z}/p\mathbb{Z}$ pour tout nombre premier $p$. Ce sont les seuls groupes simples finis qui sont abéliens.
- Les groupes alternés : Le groupe alterné $A_n$ (le groupe des permutations paires de $n$ objets) est simple pour tout $n \ge 5$.
- Les groupes de type Lie : Il s’agit de 16 familles infinies de groupes, qui sont des analogues finis des groupes de Lie continus. Ils sont construits sur des corps finis et incluent les groupes classiques (linéaires, unitaires, symplectiques, orthogonaux) ainsi que des groupes exceptionnels et tordus.
- Les 26 groupes sporadiques : Ce sont 26 exceptions qui n’entrent dans aucune des familles infinies précédentes. Le plus petit est le groupe de Mathieu $M_{11}$ (ordre 7 920) et le plus grand est le « Monstre » (ordre $\approx 8 \times 10^{53}$), qui contient la plupart des autres groupes sporadiques comme sous-quotients.
Esquisse de la « Démonstration »
Il n’y a pas de « démonstration » unique pour ce théorème. Il s’agit plutôt de la conclusion d’un programme de recherche collaboratif massif qui s’est étendu sur plus d’un siècle.
- Débuts (XIXe siècle) : Les premières familles (cycliques, alternés, certains groupes de type Lie) sont identifiées par Galois, Jordan, et d’autres.
- Le Théorème de l’Ordre Impair (1963) : Le théorème de Feit-Thompson (voir document précédent) a été le véritable coup d’envoi du programme de classification moderne. En prouvant que tout groupe simple non abélien doit avoir un ordre pair, il a permis de concentrer les efforts.
- L’Âge d’Or (1960-1980) : Des centaines de mathématiciens ont travaillé intensivement, produisant des milliers de pages d’articles pour analyser toutes les structures possibles des groupes simples. C’est durant cette période que les groupes sporadiques ont été découverts ou construits.
- La Fin du Programme : La classification a été déclarée achevée vers 1983 avec la construction du groupe Monstre, bien que la preuve complète, estimée à plus de 10 000 pages, ait été finalisée et simplifiée dans les décennies qui ont suivi.
Implications et Importance
- Une « Table Périodique » des Groupes : Ce théorème fournit une liste complète des éléments fondamentaux de la théorie des groupes finis, un peu comme la table périodique des éléments en chimie.
- Résolution de Problèmes : Connaître la liste complète permet de résoudre de nombreux problèmes en prouvant qu’une solution potentielle devrait avoir les propriétés d’un groupe simple, puis en vérifiant qu’aucun groupe de la liste ne possède ces propriétés.
- Le Groupe Monstre : La découverte du plus grand groupe sporadique, le Monstre, a révélé des liens profonds et inattendus avec d’autres domaines des mathématiques, notamment la théorie des fonctions modulaires (la conjecture « Monstrous Moonshine », prouvée par Richard Borcherds).