Théorème de la Suspension de Freudenthal
Contexte : Suspension et Groupes d’Homotopie

Ce théorème relie les invariants topologiques d’un espace $X$ à ceux d’un nouvel espace, sa suspension $SX$.

  • Les groupes d’homotopie supérieurs $\pi_k(X)$ sont des généralisations du groupe fondamental. Ils classifient les différentes manières d’envoyer une sphère de dimension $k$ dans l’espace $X$.
  • La suspension $SX$ d’un espace $X$ est obtenue en prenant le « cylindre » $X \times [0,1]$ et en écrasant chaque « base » ($X \times \{0\}$ et $X \times \{1\}$) en un seul point. Si $X$ est une sphère $S^n$, sa suspension $SX$ est une sphère $S^{n+1}$.
  • Il existe une application naturelle, l’homomorphisme de suspension $E: \pi_k(X) \to \pi_{k+1}(SX)$, qui transforme une « boucle » de dimension $k$ dans $X$ en une « boucle » de dimension $k+1$ dans $SX$.
Théorème de la Suspension de Freudenthal

Soit $X$ un espace topologique « bien connexe », plus précisément $(n-1)$-connexe (ce qui signifie que ses groupes d’homotopie $\pi_k(X)$ sont triviaux pour tout $k < n$, avec $n \ge 1$).

Alors, l’homomorphisme de suspension $E: \pi_k(X) \to \pi_{k+1}(SX)$ est :

  • un isomorphisme pour $k < 2n - 1$,
  • un épimorphisme (surjectif) pour $k = 2n – 1$.

Philosophie du Théorème

Le théorème de Freudenthal nous dit que l’opération de suspension, bien qu’elle augmente la dimension, ne change pas la nature des « trous » de basse dimension. Si un espace est déjà très « connecté » (ses premiers groupes d’homotopie sont nuls), alors suspendre cet espace ne fait que décaler ses groupes d’homotopie d’un cran, dans une certaine plage de dimensions.

La condition de $(n-1)$-connexité est cruciale : plus un espace est « simple » topologiquement (plus $n$ est grand), plus la plage de dimensions où la suspension agit comme un simple décalage est grande.

Applications Fondamentales

  • Homotopie Stable : C’est le résultat fondateur de la théorie de l’homotopie stable. En appliquant le théorème de manière répétée aux sphères ($S^n$ est $(n-1)$-connexe), on découvre que la suite de groupes $$ \pi_{n+k}(S^n), \quad \pi_{n+1+k}(S^{n+1}), \quad \pi_{n+2+k}(S^{n+2}), \quad \dots $$ devient constante pour $n$ assez grand. Ce groupe « stable » est noté $\pi_k^S$ et constitue l’un des objets d’étude les plus importants et les plus mystérieux de la topologie algébrique.
  • Calcul des groupes d’homotopie des sphères : Bien que ces groupes soient extraordinairement complexes, ce théorème est l’un des seuls outils généraux dont on dispose pour les calculer. Par exemple, il permet de prouver que $\pi_3(S^2) \cong \mathbb{Z}$, un résultat très non intuitif (le fibré de Hopf).