Théorème de Thue-Siegel-Roth
Contexte : Approximation Diophantienne

L’approximation diophantienne est la branche des mathématiques qui étudie la qualité avec laquelle les nombres réels peuvent être approchés par des nombres rationnels.

Un nombre réel $\alpha$ est dit algébrique s’il est racine d’un polynôme non nul à coefficients entiers. Par exemple, $\sqrt{2}$ est algébrique car il est racine de $X^2-2=0$. Un nombre qui n’est pas algébrique est dit transcendant (comme $\pi$ ou $e$).

La question centrale est : à quel point une fraction $\frac{p}{q}$ peut-elle être « proche » d’un nombre algébrique $\alpha$ ? On mesure cette proximité par l’inégalité : $$ \left| \alpha – \frac{p}{q} \right| < \frac{1}{q^\mu} $$ Le but est de trouver la plus petite valeur possible pour l'exposant $\mu$ pour laquelle cette inégalité n'a qu'un nombre fini de solutions rationnelles $\frac{p}{q}$.

Les Versions Successives du Théorème

Le théorème final de Roth est l’aboutissement de plus d’un siècle de recherches.

Version 1 : Théorème de Liouville (1844)

Soit $\alpha$ un nombre algébrique de degré $n \ge 2$. Alors il existe une constante $c(\alpha) > 0$ telle que pour toute fraction irréductible $\frac{p}{q}$ : $$ \left| \alpha – \frac{p}{q} \right| > \frac{c(\alpha)}{q^n} $$ Cela implique que l’inégalité $|\alpha – \frac{p}{q}| < \frac{1}{q^\mu}$ n'a qu'un nombre fini de solutions si $\mu > n$.

Version 2 : Théorème de Thue (1909) et Siegel (1921)

Thue, puis Siegel, ont considérablement amélioré l’exposant. Siegel a montré que pour tout $\epsilon > 0$, l’inégalité $|\alpha – \frac{p}{q}| < \frac{1}{q^{2\sqrt{n}}+\epsilon}$ n'a qu'un nombre fini de solutions.

Version Finale : Théorème de Thue-Siegel-Roth (1955)

Soit $\alpha$ un nombre algébrique irrationnel. Alors pour tout réel $\epsilon > 0$, l’inégalité : $$ \left| \alpha – \frac{p}{q} \right| < \frac{1}{q^{2+\epsilon}} $$ n'admet qu'un nombre fini de solutions rationnelles irréductibles $\frac{p}{q}$.

Remarque

L’exposant 2 dans le théorème de Roth est le meilleur possible. Le théorème de Dirichlet sur l’approximation diophantienne montre qu’il existe une infinité de solutions à l’inégalité $|\alpha – \frac{p}{q}| < \frac{1}{q^2}$ pour n'importe quel irrationnel $\alpha$. Le résultat de Roth est donc optimal à un $\epsilon$ près.

Esquisse de la Démonstration

La démonstration du théorème de Roth est l’une des plus difficiles de la théorie des nombres. Elle est non-effective, ce qui signifie qu’elle prouve la finitude du nombre de solutions sans donner de moyen de les trouver. L’idée générale, très simplifiée, est la suivante :

  1. Hypothèse par l’absurde : On suppose qu’il existe une infinité de fractions $\frac{p_i}{q_i}$ qui sont des « très bonnes » approximations de $\alpha$, violant l’inégalité du théorème.
  2. Construction d’un polynôme auxiliaire : C’est le cœur de la preuve. On construit un polynôme $P(X_1, \dots, X_m)$ à plusieurs variables et à coefficients entiers, qui n’est pas identiquement nul mais qui s’annule avec une très grande multiplicité au point $(\alpha, \alpha, \dots, \alpha)$.
  3. Le « Wronskien » et l’indice : On utilise un outil (l’indice, une généralisation du Wronskien) pour montrer que si les approximations rationnelles sont « trop bonnes », alors le polynôme $P$ doit aussi s’annuler avec une grande multiplicité aux points rationnels $(\frac{p_1}{q_1}, \dots, \frac{p_m}{q_m})$.
  4. Contradiction : En utilisant un lemme (le lemme de Siegel), on montre que si le polynôme s’annule « trop » à la fois au point algébrique et aux points rationnels, il doit être le polynôme nul, ce qui contredit sa construction. L’hypothèse de l’existence d’une infinité de solutions est donc fausse.

Implications et Utilisation

  • Théorie des nombres transcendants : Le théorème de Roth a permis de prouver la transcendance de nombreux nombres, comme la constante de Champernowne $0.123456789101112…$.
  • Équations diophantiennes : Comme mentionné dans le document sur le théorème de Siegel, le théorème de Thue-Siegel-Roth est l’ingrédient principal pour prouver que les courbes de genre $\ge 1$ n’ont qu’un nombre fini de points entiers.
  • Caractère non-effectif : La preuve ne donne aucune borne sur la taille des solutions éventuelles. Obtenir des versions « effectives » de ce théorème est un domaine de recherche très actif.